Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/265

Cette page a été validée par deux contributeurs.
261
LE MAROC.

Le chef de la douane, beau vieillard septuagénaire, portait avec dignité son grand haïk blanc et son turban de mousseline, surmonté de la calotte rouge. Je remarquai qu’il fumait seul ; l’usage de la pipe est loin d’être aussi général au Maroc que chez les Turcs. Le vieux renard me lorgnait du coin de l’œil, comme s’il eût craint que je ne dérobasse à sa surveillance quelque trésor précieux. Cependant il se montra plus poli que ne le sont nos douanes civilisées ; il ne me fit point subir de visite, et procéda comme le vieux botaniste de Goëthe, oculis non manibus. L’inspection du reste eût été facile et bientôt faite : mon mince bagage de voyageur m’avait précédé par mer de Cadix à Gibraltar, et je m’étais embarqué à Tarifa comme je m’y trouvais, c’est-à-dire plus qu’à la légère et la bourse assez plate. La perspective d’être volé fait qu’en Espagne on ne porte sur soi, d’une ville à l’autre, que tout juste ce qu’il faut d’argent pour le voyage ; si l’on change ses plans en route, on est souvent embarrassé.

Notre consul, M. Méchain, qui est en même temps chargé d’affaires, ne tarda pas à venir me joindre sous le hangar où j’étais prisonnier, et me tira de captivité. Si j’avais attendu pour débarquer l’autorisation du kaïd, j’aurais attendu long-temps, car il était à la campagne et n’en devait revenir que le soir. Le consul m’introduisit dans la ville sous sa propre responsabilité. Je ne saurais assez me louer des procédés de M. Méchain. Je tombais là du ciel, seul, assez mal équipé, et peut-être même un peu suspect ; il ne m’en fit pas moins bon accueil, et durant tout mon séjour il poussa l’hospitalité aussi loin qu’elle peut aller. Ma bourse épuisée, et elle le fut bientôt sur cette terre d’autant plus avide qu’elle est plus misérable, il m’ouvrit la sienne, sans autre garantie que l’honneur d’un inconnu, oiseau de passage qu’il voyait pour la première fois. Les voyageurs sentiront le prix d’un tel service.


Si Tanger n’est plus un préside européen, il l’a été jusque vers la fin du xviie siècle, époque où il fut abandonné par les Anglais, qui le tenaient des Portugais. Ils eurent soin, en se retirant, de ruiner le môle, qui depuis n’a jamais été relevé, ce qui rend le mouillage peu sûr contre les vents d’ouest. Protégé de l’autre côté par la pointe de Malabatte, en arabe Ras-el-Menar (cap du phare), il l’est beaucoup