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ges de grog, en la compagnie des familles vraiment saintes d’André del Sarto et du Titien !

M. Haydon, ce terrible pourfendeur d’académiciens, a-t-il mieux interprété l’Écriture que ces deux présidens d’Académie ? À peine, hélas ! Son Christ n’a rien du Christ. Ce n’est pas le Sauveur qui rappelle une ame ; c’est un homme vulgaire qui regarde stupidement se ranimer un corps. La face convulsive du fils n’est pas celle d’un mort réveillé se levant du tombeau, mais bien d’un vivant désespéré qui veut y descendre. Pourtant, malgré son attitude pénible et mal précipitée, elle est belle cette mère tenant embrassé son enfant, rassurée déjà, calme et souriante. Elle ne craint plus, elle se confie ; car ce cœur, hier insensible sous sa main, revit à présent, la repousse et palpite. Certes le sien lui bat aussi et chaudement la poitrine, à l’artiste qui a senti cette sublime joie maternelle, et l’a exprimée avec ce bonheur. Quelle pitié qu’une pareille puissance d’ame s’étouffe elle-même sous tant d’énormes défauts et soit si souvent insuffisante à les racheter !

Le respect dû au mérite fourvoyé me fait éviter une autre large toile historique de M. Haydon, où je blâmerais tout inhumainement, jusqu’à un bout de ciel du Tintoret, que j’admire fort chez le maître auquel il est dérobé, mais qu’il n’est plus permis d’approuver ailleurs.

Deux esquisses, d’une dimension fort restreinte, nous vont montrer une nouvelle face du talent de M. Haydon.

La première est empruntée du grand prêteur des peintres anglais, de Shakspeare. C’est après la fameuse aventure de Gadshill, dans la première partie de Henri IV. Le prince a bien son air parfaitement malicieux, moqueur et méprisant. Mais c’est le gros chevalier surtout qu’il faut admirer :

« D’ye think I did not know ye, Hall ? »

Et, en aventurant son insidieuse question, il traverse du regard Henry tout entier. L’expression complexe de sa physionomie est incomparable ; la curiosité, l’inquiétude, l’effronterie, l’astuce, l’indifférence, rien ne manque ; chaque passion a son muscle mis en mouvement. Oh ! voilà le vrai Falstaff, l’unique que nous ayons rencontré parmi les milliers d’usurpateurs de son nom. Le peintre a