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DE L’ESPAGNE ET DE SON HISTOIRE.

primés pour que les archives des affaires étrangères s’ouvrissent aux investigations savantes, quand on a conçu la pensée de les faire concourir à la grande collection historique commencée par M. Guizot, toutes les convenances prescrivaient donc de se reporter à une période dont les intérêts fussent complètement en dehors de ceux qui s’agitent aujourd’hui.

Le choix qui a été fait est sans doute le plus heureux, peut-être même le seul qui se put faire. En retraçant brièvement l’histoire de la diplomatie moderne, nous venons de voir qu’une époque seule s’y présentait avec cette harmonieuse unité de vues qui permet à l’historien de suivre largement le cours d’une féconde pensée. Ce n’est guère que sous Louis XIV que la France, jeune, forte et pleine d’avenir, s’est trouvée en mesure de faire de la politique selon un plan arrêté, en y rapportant, pendant un demi-siècle, toutes ses vues, en y faisant concourir toutes ses démarches.

Répétons-le : la succession d’Espagne fut l’idée-mère de la politique de Louis XIV, celle qui lie toutes les parties de son règne. Cette grande affaire fut pour le xviie siècle ce qu’est pour notre âge l’avenir de l’empire ottoman. Toutes les questions n’acquéraient de véritable importance qu’autant qu’elles se rattachaient à ce grand problème, dont la menaçante solution resta près de cinquante ans suspendue sur l’Europe. Cette époque est féconde en enseignemens : on verra ce qu’en présence d’une inévitable catastrophe la prudence suggérait aux uns, l’ambition inspirait aux autres.

Ce n’était pas seulement la dynastie qui s’éteignait en Espagne, l’état lui-même semblait prêt à descendre dans la tombe. Louis XIV ne mit tant de prix à épouser l’infante, fille aînée de Philippe IV, que parce qu’il convoitait ce grand héritage ; et s’il donna les renonciations exigées comme conditions du mariage, ce fut en les invalidant et en protestant à l’avance contre elles. La naissance d’un prince qui vécut près de quarante années ajourna ses espérances et les craintes de l’Europe, sans dissiper un seul instant ni les unes ni les autres, tant semblait irrévocable l’arrêt de mort que ce grand royaume portait au front !

Lassé d’attendre, le roi de France, du vivant même de Charles II, fit valoir par les armes une partie de ses prétentions, en se réservant de les exposer plus tard tout entières. Des traités de partage furent passés avec les principales puissances de l’Europe, et ces