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LA PEINTURE ET LA SCULPTURE EN ANGLETERRE.

M. Collins nous conduira plus rarement au bord des eaux ; ou s’il nous mène près d’un étang, le flot est si tiède, qu’il ne nous rafraîchit pas ; nous voudrions nous baigner. Il y a une chaleur d’été et une force de soleil jusque sous ses plus épais feuillages qui ouvrent les pores, et dilatent tout votre être, qui vous emplissent de toute la vie féconde de juillet et d’août.

Mais quelle est cette tombe au fond d’une double rangée de peupliers maigres et couronnés ? Des gouttes brillantes scintillent aux feuilles maladives qui tremblent. Une biche craintive traverse l’avenue et se dérobe. D’où vient que cette composition si simple vous remue si profondément ? Ce n’est certes pas parce que, sur la pierre du monument, vous lisez le nom célèbre de sir Joshua Reynolds. Tout le secret de votre impression est entre votre âme et celle du peintre. C’est que M. Constable est maître parmi les maîtres du domaine idéal. Aussi, n’est-il pas intelligible à tous, ni même aux élus à toute heure. Vous-même qui pleurez maintenant, vous n’avez pas toujours vu la nature telle que cette toile passionnée vous la montre ; mais vous l’avez aperçue ainsi soit un matin, soit un soir, quand vous alliez aux champs, le cœur palpitant et gonflé, regardant vaguement à travers vos pleurs, sans savoir, sans vous demander s’ils étaient de joie ou de souffrance.

Votre regard recule ébloui. Voici une ville d’or et d’argent dans une nuit d’azur, une ville en fête, une ville inondée de masques, embrasée de feux d’artifice, confuse, folle, enivrée, pleine de flambeaux sur la rivière et dans les rues ; — et puis, là bas c’est une autre ville, rayonnante, enflammée aussi, mais d’une autre flamme, de la flamme du ciel : c’est Rome, la ville éternelle, tout allumée sous les rayons d’un soleil en feu qui se couche ; — plus loin, c’est un coin du monde inconnu, que la seconde vue seule de M. Turner a découvert. Une montagne à votre droite a pour diadème de sublimes palais radieux, qui semblent une cité du ciel ; bien loin au-dessous serpentent, dans la plaine, des ruisseaux d’opale liquide, et se dressent les collines tapissées d’émeraudes, jonchées de rubis, de turquoises, de topazes, d’améthistes, où les chèvres et les génisses blanches passent, en se jouant, la tête à travers les touffes de ces fleurs étincelantes. Une lumière impossible à soutenir submerge toute cette fantastique perspective. — Combien d’hommes ont vu ces choses ailleurs que sur les toiles de