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depuis un petit nombre d’années, se trouve une pierre noire portant une triple inscription. Elle est connue sous le nom de pierre de Rosette, parce qu’elle fut trouvée par un ingénieur français dans les environs de la ville de Rosette. Enlevée aux savans qui accompagnaient notre armée d’Égypte, elle figure aujourd’hui dans le musée britannique. Cette pierre offre à sa partie supérieure, qui est fracturée, quatorze lignes d’écriture hiéroglyphique ; au-dessous de cette première inscription il en existe une deuxième beaucoup plus longue, en caractères égyptiens cursifs, appelés caractères vulgaires ou démotiques : enfin, la partie inférieure est occupée par une inscription grecque plus longue encore, au moyen de laquelle nous apprenons que les trois inscriptions ne sont qu’un même décret tracé en caractères et en langages différens.

Si de tout temps on avait considéré l’écriture hiéroglyphique comme purement idéographique, c’est-à-dire comme n’ayant aucun rapport direct avec la langue parlée, on avait toujours aussi regardé l’écriture égyptienne vulgaire comme procédant par les mêmes moyens que nos écritures ordinaires européennes. C’était une bonne fortune que la découverte d’une inscription égyptienne alphabétique. Bien des essais furent tentés pour retrouver l’alphabet égyptien. Un savant suédois, M. Akerblad, démontra d’abord que les noms étrangers étaient susceptibles d’une lecture analogue à celle de nos écritures ; mais l’alphabet qui résulta de l’analyse des noms propres étrangers n’eut aucune prise sur le texte égyptien. Toutes les tentatives de déchiffrement demeurant infructueuses, les érudits renoncèrent bientôt à marcher plus long-temps dans cette voie. Ils y étaient entrés convaincus que l’écriture égyptienne vulgaire était alphabétique comme la nôtre ; ils la quittèrent emportant des doutes nouveaux, et se demandant de quelle nature pouvait être cette écriture vulgaire.

Cependant l’alphabet obtenu par la lecture des noms propres renfermait, comme nous allons le voir, le germe d’une brillante découverte. Un savant anglais, le docteur Young[1], reprenant cette pierre de Rosette abandonnée depuis quelque temps, se mit à rechercher, par une opération toute matérielle, et à comparer entre elles les expressions des mêmes idées dans les trois textes. Il reconnut promptement que dans une foule de cas, et surtout dans les noms propres étrangers, les caractères du texte vulgaire n’étaient autre chose que des abréviations des caractères hiéroglyphiques. La conséquence obligée de cette remarque était que la méthode, pour exprimer les noms propres étrangers dans l’écriture hiéroglyphique, pourrait bien être analogue à celle dont faisait usage l’écriture

  1. Voyez, dans la livraison du 15 décembre 1835, l’article sur Young, par M. Arago.