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LES CÉSARS.

Dans cet état de choses, l’agriculture était la seule ressource de la population libre et inférieure ; mais tout ce qui était donné au luxe, était pris sur elle, et la multitude des esclaves s’augmentant avec tous les autres genres de luxe, une grande partie des terres de l’Italie ne fut plus cultivée que par eux. Les lois somptuaires n’étaient donc ni tellement inutiles, ni si mal entendues, et ce ne sont pas du tout des déclamations poétiques que les invectives des écrivains contre le luxe, les efforts des législateurs pour le restreindre, les coutumes sévères que cherchaient à mettre en honneur ceux mêmes qui ne les pratiquaient pas.

Que devenait en effet la population libre de l’Italie ? D’un côté les guerres civiles lui ôtaient ses terres, ou en la réduisant à la misère, la rendaient incapable de les cultiver de long-temps ; de l’autre, l’homme riche faisait cultiver les siennes par des esclaves, ou mieux que cela, les changeait en parcs, en villas, en jardins. Les vieilles races italiennes, vers la fin de la république, étaient pourchassées de toutes parts. Ces malheureux entraient dans les légions et allaient laisser leurs os aux extrémités du monde, ou bien ils gardaient de misérables troupeaux sur les Apennins, et souvent n’ayant plus de leur bétail qu’une peau pour se couvrir, ils gagnaient des cimes plus désertes, erraient de canton en canton, vivaient de brigandage, pères de tous les banditti des Abruzzes : c’est à ces hommes-là qu’un vieil Italien comme eux, Catilina, en homme habile, avait donné le signal de leur liberté, et c’est leur présence et leur situation qui expliquent l’importance de cette conjuration de quelques jeunes gens contre l’empire romain. Les plus heureux affluaient dans Rome pour y vivre mendians et oisifs de la vie du peuple romain : mais n’arrivait pas à Rome qui voulait ; et toute cette Italie enfin, réduite à trois ou quatre mille riches, chevaliers ou sénateurs, à deux ou trois millions de plébéiens dans la ville de Rome, à un ou deux millions peut-être de cultivateurs libres, à une multitude sans nombre et sans nom d’étrangers, d’esclaves, d’affranchis, de barbares, de soldats, d’usuriers, de Juifs, de Chaldéens, de magiciens d’Égypte, de Grecs surtout (Græculi), qui cherchaient fortune de toutes manières, et qui tous, à défaut d’autre, prenaient l’Italie pour patrie et pour nourrice ; ce beau pays en arriva à l’incontestable malheur de ne pouvoir suffire à ses premiers besoins, et de demander du blé à la Sicile ; puis, la