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LES CÉSARS.

prédiction, ou d’un songe. Rome croyait à tout, excepté aux dieux de Rome.

Et cependant (c’est pour en arriver là que nous venons d’indiquer tant de faits qui mériteraient bien d’autres développemens), le nom romain, les institutions romaines, la puissance que ce nom et ces souvenirs prêtaient à cette machine vermoulue, à cet arbre sans racine que soutenait son propre poids, tout cela dura au-delà de toutes les limites qu’il eût été raisonnable de lui assigner. Tout cela dura quatre siècles, contre des ennemis de tout genre, contre les barbares, contre les peuples de l’empire, contre la philosophie, contre le christianisme, tant il y avait là une vertu primitive, une force de durée et de vie. Merveilleux chef-d’œuvre de l’esprit humain ! privée de son principe, n’étant plus animée de son esprit, sans l’aristocratie qui était son but, sans la foi qui était sa base, la Rome de l’aristocratie sacerdotale dura long-temps, et laissa au moyen-âge ses monumens, sa langue, son droit, et Rome une seconde fois reine du monde.

C’est que dans le sénat même, si abaissé malgré les efforts d’Auguste pour le relever, on se sentait toujours les héritiers de l’aristocratie ancienne, et qu’on savait encore se faire révérer par les souvenirs. — C’est que le peuple si vil, si frivole, si dégénéré, ce peuple du cirque, du théâtre, voulait être encore le peuple-roi, se révoltait parfois, commandait aux Césars, les sifflait ou les applaudissait comme des acteurs, leur proclamait ses volontés entre les facéties d’un bouffon et les combats des gladiateurs, et chassé du Forum régnait au théâtre. C’est que les légions (objet digne d’une étude toute particulière) formaient dans le peuple un peuple à part, bien autrement romain, qui avait une foi et un culte, le culte de ses aigles, auxquelles vous savez qu’on offrait des sacrifices ; que dans l’armée on servait souvent toute la vie, et que le fils y succédait au père : véritable nation militaire d’où sortirent jusqu’aux derniers jours de l’empire des hommes de trempe romaine, des Probus, des Stilicon, hommes rudes, sévères, antiques, souvent d’origine barbare, mais Romains de cœur. C’est qu’enfin les provinces elles-mêmes, frappées de tant de grandeur et de souvenirs, voyaient moins avec haine qu’avec envie, crainte et admiration, l’édifice sans base de la nationalité romaine, et songeaient, non à la détruire, mais à y pénétrer.