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LES CÉSARS.

Telle est en quelques lignes l’histoire de l’élévation d’Auguste. Mais que trouvait-il dans Rome, devenue son bien par droit de succession et par droit de guerre ? Beaucoup de lassitude, beaucoup d’épuisement, aucun principe. César était mort à la tâche en voulant établir trop tôt sur les ruines de l’aristocratie romaine une société nouvelle, cosmopolite, nivelée ; il avait détruit et n’avait rien fondé. Le peuple, pour qui il avait travaillé, adorait son nom, mais ne s’était pas soucié de prendre les armes pour Antoine, le chef du parti extrême chez les césariens. Le parti contraire, républicain et aristocratique, était resté livré aux vautours, comme le cadavre de Brutus sur les plaines de Philippes. Mais ce qui était effrayant, c’était le désordre de la société. Il faut se figurer une terreur de quinze ans, une lutte de quinze ans entre un Danton et un Robespierre, pour comprendre ce qui pouvait en rester ; il faut songer que, pendant une période de trente ans peut-être, pas un personnage un peu notable ne mourut dans son lit ; il faut se souvenir que chaque homme un peu important d’alors donnait à son affranchi de confiance deux meubles nécessaires, un stylet pour écrire ses lettres et un poignard pour lui donner la mort quand l’heure viendrait ; il faut songer à ce qui pouvait rester debout après une telle anarchie. Le sénat que César (et après lui Antoine) avait flétri à plaisir et mêlé de tous les barbares qu’il avait vaincus, était une cohue sans dignité et sans loi. Les chevaliers, c’est-à-dire ce qui avait fait l’aristocratie d’argent, avaient des places d’honneur qu’ils n’osaient aller prendre, de peur que leurs créanciers ne vinssent les y saisir ; leurs quatorze bancs au cirque étaient presque déserts. Rome était pleine de bravi ; sur les routes, on arrêtait les voyageurs pour les faire esclaves. Tout cet empire, pillé, dévasté, mis à sec par tous les partis, demandait de quoi vivre, et tendait à Auguste non des mains suppliantes, comme disent les poètes, mais bien plutôt des mains mendiantes ; les patriciens et les grandes familles lui demandaient de quoi payer leurs robes de pourpre et leur cens de sénateur ou de chevalier ; la population oisive et toujours croissante de Rome, du blé pour vivre ; l’Italie, des laboureurs ; les provinces, une diminution d’impôt ; le monde tout entier était comme un mendiant aux pieds d’un seul homme.

Le fils du banquier de Velletri était bien mieux placé là que le brillant César. Ces caractères pâles, incertains, équivoques, mais