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ignorant qu’une guerre ne s’achève que là où elle commence. Octave et Antoine, bien rassasiés de proscriptions, menèrent enfin contre les meurtriers de César leurs légions qui ne trouvaient plus à piller en Italie. La grande question était avant tout : nourrir les soldats.

Brutus et Cassius se firent tuer à Philippes en abjurant la vertu, comme si c’était la vertu qui les eût menés là. Antoine et Octave se partagèrent le monde, c’est-à-dire le reçurent pour le partager entre leurs vétérans.

La tâche d’Octave était difficile ; avec cette Italie dévastée en tous sens, couverte de maraudeurs et de brigands, il fallait faire face à toutes les légions qui se trouvaient toujours mal payées, aux paysans italiens que l’excès de la spoliation finissait par pousser à la révolte, aux spoliateurs et aux spoliés tout à la fois, à Antoine qui sourdement animait ceux-ci, à un fils de Pompée écumeur de mer, se disant fils de Neptune, qui tenait la Méditerranée et interceptait les convois de blés ; brillant flibustier, qui, avec un peu plus de perfidie, aurait un beau jour retenu et rançonné l’héritier de César ; au peuple de Rome, qui, jusque-là, indifférent à ces combats, se révolta, se battit trois jours durant dans ses rues, quand il s’aperçut qu’on le faisait mourir de faim. Tel était l’état de l’Italie.

De toutes ces hostilités simultanées naquit la paix. Les soldats l’ordonnèrent entre Auguste et Antoine, et pour la sanctionner, firent épouser à celui-ci la sœur d’Auguste, Octavie. Les soldats devenaient arbitres des familles ; et, du reste, c’était peu de chose dans une famille qu’une jeune fille et un mariage : on se débarrassait si vite de l’une et de l’autre. Le peuple, qui avait un faible pour le jeune pirate, fils du grand Pompée, ordonna également la paix entre Sextus et Auguste. La part des deux triumvirs fut nettement faite : Octave resta à Rome, travaillant patiemment, laborieusement, habilement, à pacifier, à soulager, à fortifier l’Occident ; Antoine, à Alexandrie, jouissant de l’Orient comme d’un festin de bacchanale ; Auguste, épousant ou répudiant qui il voulait ; Antoine, mari de la sage Octavie, dont le frère était à craindre, et voisin de la belle Cléopâtre. Il en résulte que tandis que l’un resta un digne Romain et un époux fidèle, l’autre oublia dans les orgies d’Alexandrie la majesté de Rome et la fidélité conjugale, double crime que son rival dénonça au sénat, et dont il fut puni à Actium.