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sortes de choses sont agréables dans un livre d’étrennes relié en soie et doré sur tranche ; mais quelle créature raisonnable s’est prise jamais à souhaiter de voir les vignettes d’un keepsake par le verre grossissant d’un télescope ? Or c’est justement cet effet d’illustrations d’almanach démesurément grossies que vous font à l’œil nu les larges peintures de M. Westall. Ne voilà-t-il pas du gentil bien gigantesque ?

M. Mulready et M. Leslie n’ont envoyé que deux esquisses, mais chacune est un petit chef-d’œuvre. Amusons-nous d’abord de celui de M. Mulready. Une belle poire mûre a été trouvée par un jeune paysan. — Part à moi seul ! — Part à nous deux, crie son camarade. — Peu s’en est fallu que la querelle ne se décidât selon la raison du plus fort. Mais un compromis intervient : le trouveur gardera sa poire, quand le réclamant aura mordu une bouchée. L’exécution du pacte est le moment représenté. Le possesseur n’a pas eu l’imprudence de se dessaisir du fruit en litige ; il le tient vigoureusement empoigné, tandis que le prétendant ouvre une bouche capable d’engloutir tout ensemble et la poire et les dix doigts qui la défendent. Le triomphe de cette charmante comédie rustique, c’est qu’il est impossible de dire laquelle des deux physionomies aux prises montre le plus d’avidité gourmande.

L’Autolicus de M. Leslie n’a pas moins de finesse et de verve divertissantes. Shakspeare a été rendu ici avec autant de fidélité que de bonheur, ce qui est rare. La scène choisie est l’une des plus piquantes de Winter’s Tale. Le malin pickpocket transformé en colporteur étale sa fausse marchandise devant les fillettes ébahies. Comme l’adroit fripon a bien l’œil et la main au guet, tout en amusant son crédule auditoire, tout en disant : — Voici une autre ballade d’un poisson qui a paru sur la côte mercredi, le quatre-vingtième jour d’avril, à quarante milles brasses de hauteur au-dessus du niveau de la mer, d’où il chanta la susdite ballade contre la dureté de cœur des jeunes filles ! — Nulle part le pinceau n’avait si spirituellement traduit la gaieté de Shakspeare, ce caprice, léger, moqueur, inattendu, — délicieux sourire que le divin poète fait soudain éclore sur les lèvres de sa muse, tout-à-l’heure sublime de tristesse, échevelée et en pleurs.

Laisse-t-on un moment les académiciens, on a peu de chose à dire ici des autres artistes. Je vous avais avertis. Qu’elle ait tort