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LES CÉSARS.

parce qu’après tout il était Italien. Quand il était riche, dédaigneux, dur, fier, aimant raisonnablement sa femme et ses enfans, beaucoup plus ceux de ses affranchis qui avaient de l’esprit, et ceux de ses esclaves qui l’amusaient ; du reste, bien élevé, instruit, parlant grec comme un diplomate russe parle français ; ayant une bibliothèque en bois de citron, des meubles en cèdre, des figurines, des bronzes, des statues volées aux temples ; ayant des prétentions de connaisseur en fait d’arts, sans s’y connaître ; amenant, pour se distraire à table, un bouffon, des gladiateurs, un philosophe ; ayant aussi un cuisinier grec, comme on a un cuisinier français à Londres, des parcs, des chevaux, des châteaux au-delà de toute idée ; se faisant construire une villa sur une jetée en mer ; avec tout cela bonhomme au fond, brave à la guerre ; mais fort ennuyé d’être riche, et quand l’idée lui en venait, se laissant un beau jour mourir de faim.

Qu’était-ce que César ? Un vrai héros de roman anglais, être qui semble imaginaire à force d’accomplissemens de tous genres (Byron ne fut qu’un César manqué), d’une noble naissance (descendant de Vénus, disait-on, de la déesse qui donne la fortune), d’un beau visage, avec une taille haute, un regard de faucon dans ses yeux noirs (gli occhi grifagni, dit Dante), une peau blanche qu’il avait grand soin d’épiler, le front chauve (mais il savait se coiffer de manière à dissimuler ce défaut) ; il était admirablement bien peigné, et portait sa toge lâche, signe d’excessive élégance. — Avec cela, poète, orateur, grammairien, ce n’est rien encore ; mais favori de toutes les belles Romaines, mais jovial, courtois, généreux, mais le seul homme humain de son temps, poussant la délicatesse des nerfs jusqu’à faire enlever de l’arène et soigner les gladiateurs blessés. Aussi disait-on de lui : « C’est une femme. » Mais surtout poussant jusqu’à une gigantesque hauteur la plus puissante ressource des grands hommes : l’art de s’endetter.

Il faut comprendre la vie politique d’alors, et par l’Angleterre il est aisé de la comprendre. On achète un siège aux communes, on achetait de même l’édilité ; c’était le début. Comme le peuple nommait et que le peuple était nombreux, l’élection, de même que dans tous les pays où la loi électorale est assise sur de larges bases, l’élection était fort chère. On y laissait son patrimoine. Cette place d’édile ne rapportait rien ; seulement il fallait donner des jeux au