Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/170

Cette page a été validée par deux contributeurs.
166
REVUE DES DEUX MONDES.

verture taillée en soupirail, et rejaillissait à la surface de l’eau comme à travers un prisme, tout imprégnée de la moiteur azurée des flots. Les parois du rocher, les stalactites rugueuses, qui affectent mille formes bizarres, tout était d’un bleu foncé. Ce doit être là la conque de saphir de la sirène de Naples. Le peintre commença à dessiner et nous à muser, sans nous apercevoir que le vent soufflait au dehors. Quand nous en fîmes la remarque, il était trop tard ; l’orage s’était levé. Du sein de la montagne sortaient des mugissemens comme d’un troupeau de bœufs marins, et d’autres fois, des explosions comme d’une batterie d’un fort. Les vagues achevèrent bientôt de boucher l’ouverture. Le bassin de la grotte, si tranquille une heure auparavant, se souleva à son tour ; nous restâmes plongés dans une obscurité livide. Quand le flot se retirait, on découvrait au loin les ravins qui se creusaient dans le golfe. À trois ou quatre reprises nous essayâmes de suivre la lame ; mais à peine étions-nous près de l’ouverture, que la vague remontait et déferlait avec fureur. Elle soulevait notre barque perpendiculairement ; après l’avoir tenue quelques instans collée à la voûte, elle finissait par la rejeter dans l’enfoncement de la caverne. J’avais assez l’habitude de nager pour tenter de sortir au large et d’aller chercher du secours : j’en fis la proposition ; mais ce moyen n’était guère plus praticable que l’autre, à cause des violens ressacs qui ne cessaient de battre l’entrée. Il fallut prendre notre parti et nous disposer à passer là la nuit. Nous étions déjà établis sur un rocher en terrasse, quand, au coucher du soleil, la mer baissa. Une heure après, nous crûmes entendre des voix d’hommes. Des habitans de Capri, qui nous avaient vus partir le matin, avaient deviné notre embarras. Ils tentèrent de nous remorquer, ce qui ne réussit néanmoins qu’à la nuit close et quand le vent fut tombé. On était alors au milieu de l’équinoxe ; nous devions nous attendre à rester emprisonnés là toute une semaine. Ainsi finit cette petite aventure qui eût pu être sérieuse, qui ne fut que plaisante. Comme en Italie tous les heurs et malheurs sont attribués à des Anglais, on ne manqua pas, dans l’île, de l’appeler l’histoire des trois milords.

Au moment de quitter l’île, j’entrai dans l’église. La messe venait de finir ; une jeune fille des environs, belle comme elles le sont souvent dans ces îles, était à genoux. C’était un dimanche ; elle était seule et très parée ; sur son prie-Dieu il y avait une tête de mort avec laquelle elle conversait tout bas. Quand elle baissait, comme la Madeleine dans le désert, sa tête brillante de vie sur ce crâne vide, il paraissait ricaner ; mais elle ne pria qu’avec plus de ferveur ; elle ne m’entendit pas même marcher à côté d’elle sur le pavé. Oh ! c’était une affreuse image que la confession de cette jeune femme à ce mort muet et railleur.