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Pausilippe, Caprée et la blanche Nisida ; car c’est là que les souvenirs se délient et que les sermens se faussent ; les projets héroïques, les douleurs fécondes s’oublient sous ces cieux d’où pleut l’amour. Une volupté plus dangereuse que celle où se convient les lèvres humaines, s’échappe à toute heure des monts, des lacs, des étoiles palpitantes. Une syrène éternelle languit sous ces vagues assoupies ; celui-là seul qui a échappé à ses embrassemens, peut compter sur son épaisse armure.

Quand les Romains se corrompirent, ils se dégoûtèrent de la grandeur et de la sévérité de Rome ; ils cherchèrent une nature enivrée comme eux, monstrueuse comme eux. S’ils avaient pu arracher Rome à ses tristes et graves fondemens, ils l’auraient fait. Le mélange de volupté et de terreur qu’ils cherchaient au temps de Tibère, de Néron, de Caligula, se trouvait sur ces promontoires de Caprée et de Misène. C’est là qu’ils vinrent établir leurs fêtes, et jouir en paix dans cette nature païenne des derniers jours du paganisme. Les villas des Césars, sur le golfe de Baie, étaient tout près des lacs Averne et Achéruse, des Champs-Élysées, de l’entrée des enfers, comme s’ils avaient voulu redoubler l’insolence de leurs fêtes par cette opposition. Ce grand festin de la société romaine, à quelques pas de l’Achéron, fut le festin du don Juan antique chez le commandeur. Les petits lacs voisins des enfers brillent, dans le fond des cratères éteints, comme dans des coupes de lave ; sur leurs bords rampent quelques guirlandes fanées d’églantines, pauvres fleurs qui ont survécu à l’orgie de l’empire. Le christianisme, qui partout en Italie s’est emparé des ruines païennes pour y placer ses chapelles ou ses ermitages, a laissé celles-ci désertes, comme s’il eût désespéré d’en éteindre les voluptés renaissantes. Je montai sur le cap Misène ; les trompettes infernales qui troublaient en cet endroit le sommeil de Néron, n’y retentissaient plus ; la grève se taisait ; le golfe vide étendait dans l’ombre ses bras décharnés. Il était tard. La mer était phosphorescente, les étoiles brillaient. Je fis à la nage une partie du chemin de Misène à Pouzzole, au milieu du bruit des cloches ; à la lumière pâlissante de la lune se mêlait la lumière électrique des flots ; eux seuls gardaient encore le souvenir des voluptés impériales.

Peu de jours après, je visitai l’île de Caprée. Les couleurs dont Tacite l’a peinte sont encore celles qui lui conviennent le mieux aujourd’hui. Bordée de brisans et de rochers perpendiculaires, elle n’est guère abordable que par deux points, la petite et la grande marine ; mais une fois qu’on a franchi cette enceinte de murailles, on trouve des vallées, des vignes, des sources gazouillantes, des ombrages sous des oliviers, un monastère, et, sur les côtes, deux villages, Capri et Ana-Capri. Ce dernier est juché sur une cime escarpée au haut de laquelle conduit un escalier taillé dans le roc. Les toits des maisons sont aplatis en terrasse comme dans le Levant,