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VOYAGES D’UN SOLITAIRE.

païen quand leur bouche était déjà chrétienne. Au contraire, dans Rome tout est chrétien, jusqu’au paganisme lui-même. Le Christ a si bien pris possession de ce pays, qu’il y est partout visible. Il faut fermer les yeux pour ne le point apercevoir à ses côtés. La courte épée des légions a vaincu, et il a arboré son vexillum sur les colonnes triomphales. Les hommes se sont creusé les uns aux autres des tombeaux, et lui s’est couché à la place des morts dans le sépulcre. Ils ont élevé des temples à leurs idoles, et lui est entré dans le sanctuaire, à la place de leurs dieux. Ils se sont bâtis des prétoires pour y rendre la justice, et lui s’est assis, comme la justice éternellement vivante, sur le siége du préteur. Ils ont élevé des cirques pour y voir le combat des gladiateurs, et lui s’est assis sur les gradins du Colysée, pour y voir l’empire, ce grand gladiateur, tomber sous l’épée des archanges. Il semble ainsi que le paganisme latin ne fut rien, en lui-même, qu’une pompe magnifique et vide, préparée d’avance pour couvrir la nudité du christianisme, au sortir du désert de Bethléem.

Mais ce qui achève de donner à Rome son caractère, ce qui fait qu’elle est elle-même l’emblème permanent du catholicisme, le voici : Au-dessus des ruines, des basiliques, des mosaïques, au-dessus de l’antiquité et du moyen-âge, la coupole de Saint-Pierre s’élève comme la domination visible de la papauté. Rien n’est plus facile que de faire la critique menue de cette église géante. C’est dans ses rapports avec Rome tout entière qu’il faut la considérer. De presque tous les endroits de la plaine, et surtout des hauteurs de Frascati, d’Albano, du Monte-Cavo, vous apercevez toujours au loin, dans le désert de la campagne, ce dôme qui marque la place de Rome ; c’est la triple couronne et la mitre de la ville éternelle. Rome, avec tous ses siècles, ne fait pour ainsi dire qu’un seul monument, dont l’unité est analogue à celle du catholicisme. Ses fondemens sont cachés dans les catacombes des martyrs ; sa tête est chargée de la coupole de la cité nouvelle. Si le dôme de Saint-Pierre manquait à Rome, elle serait toujours la ville des tombeaux par excellence, mais elle ne serait plus l’emblème visible de l’Église triomphante. Il lui manquerait sa tiare.

Cette Rome de la renaissance est en quelque sorte une Rome ressuscitée sur le tombeau de la Rome des martyrs. L’image que les chrétiens du moyen-âge se faisaient de la cité de l’avenir, semble avoir été réalisée, en partie, par la sculpture et par la peinture du seizième siècle ; cet art ne fut lui-même si puissant que parce qu’il accomplit sur terre, quoiqu’en le rabaissant, l’immense idéal qui avait obsédé le cœur des hommes. La ville des ames fut véritablement alors bâtie de pierre et de ciment ; et la Rome du paganisme, du christianisme, du moyen-âge, de la renaissance, comprenant tous les temps, toutes les formes, devint l’image de la cité de la