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est si profonde, que vous croyez voir passer sur ce front de pierre les songes frissonnans du sépulcre. Il pense aux temps oubliés de la gloire italienne, aux gonfaloniers des Guelfes, à la bataille de Campaldino ; il pense aux flottes de la Chiozza, aux murailles pavoisées, à l’empereur tudesque qui fuit devant la couleuvre milanaise ; et la mélancolie du doux pays qu’enferment les Alpes et que baigne la mer, est tout entière scellée sur ses lèvres. Au pied de ce trône de mort, le Jour, la Nuit, le Crépuscule, l’Aurore, languissent couchés sur le flanc. Ces personnages ont la solennité rêveuse qui se retrouve partout en Italie, au lever et au coucher du soleil. Les rayons funestes qui attristent les marécages et la campagne de Rome pèsent au front de cette famille des Heures géantes. Qu’attend-il ce Jour gigantesque pour se lever debout ? La Nuit, son épouse funèbre, qu’attend-elle pour sortir de sa couche ? Jamais des yeux humains n’ont vu un si étrange couple. Sont-ce des jours passés qui se reposent d’avoir été ? Sont-ce des jours futurs qui se préparent à la fatigue d’être ? L’un peut être comme l’autre. Levez-vous donc, Jour éternel ! Aurore immense ! famille sans parens et sans postérité ! Pour que les morts ressuscitent, ôtez la pierre de ce tombeau. C’est le tombeau de l’Italie.

v.

Au moment d’entrer dans la campagne de Rome, je quittai mon vetturino. Pour voir de loin la ville à découvert, je montai un de ces chevaux à demi sauvages qui errent aux environs. Comme j’allais passer le Ponte-Felice, une jeune fille sortit d’une masure voisine : elle s’approcha de moi en m’apportant des pêches et des raisins de la montagne. Ses yeux noirs brillaient au soleil sous la toile blanche dont sa tête était couverte ; de longs pendans d’oreilles tombaient sur ses épaules ; elle avait le teint des beaux marbres quand le soleil les a dorés ; et, avec cela, la taille d’Agrippine dans un corset écarlate et or, tel que jamais sainte dans sa châsse n’en posséda de plus brillant ni de plus chamarré. J’arrêtai mon cheval, et je la contemplai quelque temps avec étonnement et ravissement, comme une madone rustique descendue de sa niche.

Après la Storta, tout vous dit que vous approchez de Rome, quand même rien ne vous la montre encore : une inquiétude indéfinissable vous saisit. Au-delà de chaque tumulus, vous vous attendez à la trouver ; car, de ce côté, le Monte-Mario vous la dérobe jusqu’au dernier moment, et vous ne la voyez en plein qu’à l’instant où vous la touchez. On ne sait de quel mot se servir pour décrire cette campagne. Sans villages,