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se fait, sur la toile, son évangile à son image ; l’unité du vieux symbole est perdue sans retour. C’est le temps de la poésie, de l’art, de la beauté ; ce n’est plus le temps de la foi.

Au commencement, les grands crucifix de Cimabuë, encore sanglans, représentaient la passion et l’ascétisme du moyen-âge sur son Calvaire. On dirait que les apôtres, encore frappés de terreur, ont peint eux-mêmes, de leurs mains incultes, les fresques colossales du xe siècle. Le dessin en est grossier ; mais le Dieu nouveau est là. À travers ces traits barbares ressort une grandeur apocalyptique. La Vierge byzantine est assise sur son trône ; un repos éternel illumine son front. Sa robe, où sont brodés de secrets symboles, participe de cette immobilité céleste. Les douze apôtres, partout inséparables, remplissent les coupoles des basiliques. Il semble que ces personnages soient conçus hors du temps, au-dessus des mondes détruits. Dans leur ciel théologique, ni joie ni tristesse ; tous ils sont investis d’une seule pensée, qui est la pensée divine. Ils ne prient pas, ils n’enseignent pas, ils adorent. Nous sommes au xiie siècle.

Dans l’âge suivant, jusqu’au quinzième, la foi n’est pas moins grande. Pourtant ces personnages sont sortis de leur contemplation. Ils commencent à errer dans l’Eden de l’imagination, et à quitter leur sainte oisiveté. Sur les fresques de Gaddi, les soldats endormis autour du sépulcre vide ouvrent leurs paupières ; ils s’éveillent au jour nouveau. Le Christ s’élève du milieu d’eux, emportant l’étendard de la mort. Le long des murailles du cimetière des Pisans, les vierges pâles de Giotto se glissent à travers les tombes comme des ressuscités. Le temps est venu où les anges de Gozzoli, de Buffalmacco, de Fiesole, ont embouché leurs trompes d’or. Sur leurs violes ils ont pressé leurs archets recourbés ; au milieu de ce silencieux concert, la madone sourit pour la première fois de ce sourire dont l’Italie tout entière se sent encore émue. Sous ce ciel de mélodies elle promène çà et là, dans ses bras, le Christ enfant. Ce fut là sans doute le temps le plus adorable de l’art, s’il faut appeler de ce nom ce qui était une prière, un acte de foi, ou plutôt un ex-voto de l’humanité naufragée et sauvée. Toutes les espérances, toutes les croyances avaient l’âge de ce divin enfant que berçait sur ses genoux la madone de l’Italie. Les artistes, réunis en confréries, connaissaient dans les moindres détours les secrets de l’éternité. Il n’y a que les choses de la terre qu’ils ignoraient. D’ailleurs leurs conceptions avaient dépouillé la barbarie des temps du christianisme primitif. Ils étaient sur le seuil de l’église et de l’art séculier, appartenant cependant à l’une plutôt encore qu’à l’autre. Ce furent là les derniers songes du genre humain dans le berceau du dogme catholique : ah ! que vont-ils devenir ; ces songes vêtus de pourpre et d’or ?