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VOYAGES D’UN SOLITAIRE.

croyais qu’un enthousiasme durable les poussait aux nobles entreprises ; mais leur essor n’a duré qu’un moment. Une muse flétrie a déjà pris chez eux la place des extases passées. Trop souvent ils couvrent sous des paroles savantes des sentimens vulgaires. Va, crois-moi, ne cherche plus dans les cieux le cygne allemand ; il se noie aujourd’hui dans son cloaque.

J’ai aimé le ciel pâle de leurs pâles vallées. Dans ce temps-là mon cœur ne voyait, ne sentait partout que les images qu’il créait ; je n’avais pas cueilli de myrte dans l’Isola-Bella, ni passé une nuit d’été au bord du lac Bolsène. Tous les horizons étaient pour moi également beaux, pourvu qu’il y eût place pour un rêve. Je ne faisais point de différence entre un lourd ciel d’Autriche et un ciel vénitien. Mais, depuis que j’ai passé les Alpes, mes yeux, Dieu merci ! sont las de la lèpre tudesque. La perfidie bavaroise, l’inganno bavarico, m’est connue ; et si pour un si grand mal toute parole n’était vaine, je m’expliquerais davantage.

Depuis que les empereurs se réchauffent au soleil lombard, qu’ont-ils rendu à l’Italie en échange de ce qu’ils lui ont ravi ? Ne voient-ils pas que leur sang est trop froid pour cette ardente contrée ? Leur génie qu’use une heure d’exaltation n’est pas fait pour le soleil dévorant des enfans du midi ; le myrte est trop parfumé pour ces insipides vainqueurs ; et l’orange de la Brenta ne mûrit pas pour les lèvres épaisses des serfs de Habsbourg.

Non ! non ! cela ne peut durer. Il faut que les manteaux blancs disparaissent, et que les cavaliers frileux repassent les monts. Ne sentent-ils pas que leur langue hennissante rompt l’accord de la mélodie toscane, et que leurs membres grossiers n’ont jamais été formés de Dieu pour habiter, à l’ombre des villas, le jardin de l’Italie ? Qu’ils consultent leurs mains rudes et calleuses, et leurs sens hébétés. Ils apprendront d’eux-mêmes que cette terre de volupté n’est pas la leur, et qu’il reste encore au-delà des monts, sous leur ciel blêmissant, mainte glèbe qui reste privée de leur sueur servile : qu’ils retournent dans leurs vallées du Danube, de l’Elbe et de la Sprée, s’atteler à leur charrue féodale ; et alors, nous louerons tant qu’on voudra les vertus de ces honnêtes Germains.

Mais aujourd’hui, de cette terre d’amour ils ont fait une terre de haine. L’enfant qui commence à balbutier, la jeune fille sous son voile, l’ermite dans sa chapelle, tout ce qui a un cœur pour aimer ou pour haïr, les maudit en même temps. La vertu de l’Italie est de les détester ; c’est par là qu’elle réunit ses peuples qu’aucune autre puissance n’avait pu rallier. Eh bien ! qu’elle la nourrisse cette haine sacrée, son seul et dernier refuge. Qu’elle adore la madone de la colère, puisque la madone de la pitié n’a pu la sauver !