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quêtes des idées ; elles rendraient, en se reproduisant, les institutions et les réformes impraticables ; elles mettraient en fuite la liberté démocratique pour ériger, en sa place, le pouvoir absolu et personnel d’un seul. Nous n’avons en France que trop de pente à nous précipiter dans l’adoption d’un homme comme symbole de l’état et de la société ; que sera-ce lorsque la civilisation épouvantée excitera elle-même le pouvoir à la défendre, dût-il même peser sur elle ?

La liberté moderne a horreur de l’assassinat ; elle peut produire, elle peut excuser l’ardeur des guerres civiles ; le sang coule dans ces luttes, mais au moins la dignité humaine n’y succombe pas, elle peut même y grandir ; mais l’assassinat, mais le guet-apens, mais le coup frappé par derrière ne seront jamais instrumens de liberté. Dans notre civilisation moderne le christianisme et la philosophie s’accordent à repousser le meurtre, la mort arbitraire de l’homme par l’homme. Il n’est pas dans la destinée de la démocratie d’avancer à coups de poignard comme une nouvelle Frédegonde ; elle devra, comme elle a dû jusqu’ici, ses progrès à la pensée. Un homme qui vient de disparaître au milieu de trop d’oubli et d’indifférence, un des pères de la révolution française, l’abbé Syeyes, dans son rapport sur la première loi qui ait été faite sur la presse, nous a enseigné la nouveauté féconde de la liberté moderne. « Les philosophes et les publicistes, a-t-il écrit, se sont trop hâtés de nous décourager en prononçant que la liberté ne pouvait appartenir qu’à de petits peuples ; ils n’ont su lire l’avenir que dans le passé… Élevons-nous à de plus hautes espérances ; sachons que le territoire le plus vaste, que la plus nombreuse population se prête à la liberté. Pourquoi en effet un instrument (la presse) qui saura mettre le genre humain en communauté d’opinion, l’émouvoir et l’animer d’un même sentiment, l’unir du lien d’une constitution vraiment sociale, ne serait-il pas appelé à agrandir indéfiniment le domaine de la liberté ?… »

Voilà effectivement la descendance de la démocratie nouvelle ; elle est fille de la pensée et de la presse. C’est dans cette conviction que nous nous sommes élevés avec énergie contre les lois de septembre, qui n’ont été à nos yeux qu’une immolation inutile et condamnable de principes sacrés. Le dogme de l’intimidation a-t-il empêché une nouvelle tentative d’assassinat ? Il ne valait pas la