Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/121

Cette page a été validée par deux contributeurs.
117
ÉCRIVAINS CRITIQUES ET MORALISTES FRANÇAIS.

alors, s’il est sage, il parle peu, il n’écrit point… Chante-t-on avec un rhume ? Ne faut-il pas attendre que la voix revienne ? » C’est de cette habitude, de cette nécessité de chanter avec toute espèce de voix, d’avoir de la verve à toute heure, que sont nés la plupart des défauts littéraires de notre temps. Sous tant de formes gentilles, sémillantes ou solennelles, allez au fond : la nécessité de remplir des feuilles d’impression, de pousser à la colonne ou au volume sans faire semblant, est là. Il s’ensuit un développement démesuré du détail qu’on saisit, qu’on brode, qu’on amplifie et qu’on effile au passage, ne sachant si pareille occasion se retrouvera. Je ne saurais dire combien il en résulte, à mon sens, jusqu’au sein des plus grands talens, dans les plus beaux poèmes, dans les plus belles pages en prose, — oh ! beaucoup de savoir-faire, de facilité, de dextérité, de main-d’œuvre savante, si l’on veut ; mais aussi ce je ne sais quoi que le commun des lecteurs ne distingue pas du reste, que l’homme de goût lui-même peut laisser passer dans la quantité s’il ne prend garde, — le simulacre et le faux-semblant du talent, ce qu’on appelle chique en peinture et qui est l’affaire d’un pouce encore habile même alors que l’esprit demeure absent. Ce qu’il y a de chique dans les plus belles productions du jour est effrayant, et je ne l’ose dire ici que parce que, parlant au général, l’application ne saurait tomber sur aucun illustre en particulier. Il y a des endroits où, en marchant dans l’œuvre, dans le poème, dans le roman, l’homme qui a le pied fait s’aperçoit qu’il est sur le creux : ce creux ne rend pas l’écho le moins sonore pour le vulgaire. Mais qu’ai-je dit ? c’est presque là un secret de procédé qu’il faudrait se garder entre artistes pour ne pas décréditer le métier. L’heureux et sage La Bruyère n’était point tel en son temps ; il traduisait à son loisir Théophraste et produisait chaque pensée essentielle à son heure. Il est vrai que ses mille écus de pension comme homme de lettres de M. le Duc et le logement à l’hôtel de Condé lui procuraient une condition à l’aise qui n’a point d’analogue aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, et sans faire injure à nos mérites laborieux, son premier petit in-12 devrait être à demeure sur notre table, à nous tous écrivains modernes, si abondans et si assujettis, pour nous rappeler un peu à l’amour de la sobriété, à la proportion de la pensée