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Théobalde qui bâilla si fort et si haut à la harangue de La Bruyère, et qui avec quelques académiciens, faux confrères, ameuta les coteries et le Mercure Galant, lequel se vengeait (c’est tout simple) d’avoir été mis immédiatement au-dessous de rien ? Benserade, à qui le signalement de Théobalde sied assez, était mort ; était-ce Boursault qui, sans appartenir à l’Académie, avait pu se coaliser avec quelques-uns du dedans ? Était-ce le vieux Boyer ou quelque autre de même force ? D’Olivet montre trop de discrétion là-dessus. Les deux autres morceaux essentiels à lire sur La Bruyère sont une notice exquise de Suard écrite en 1782, et un Éloge approfondi par Victorin Fabre (1810). On apprend d’un morceau qui se trouve dans l’Esprit des Journaux (février 1782), et où l’auteur anonyme apprécie fort délicatement lui-même la notice de Suard, que La Bruyère, déjà moins lu et moins recherché au dire de D’Olivet, n’avait pas été complètement mis à sa place par le xviiie siècle : Voltaire en avait parlé légèrement dans le Siècle de Louis XIV : « Le marquis de Vauvenargues, dit l’auteur anonyme (qui serait digne d’être Fontanes ou Garat), est presque le seul de tous ceux qui ont parlé de La Bruyère qui ait bien senti ce talent vraiment grand et original. Mais Vauvenargues lui-même n’a pas l’estime et l’autorité qui devraient appartenir à un écrivain qui participe à la fois de la sage étendue d’esprit de Locke, de la pensée originale de Montesquieu, de la verve de style de Pascal, mêlée au goût de la prose de Voltaire ; il n’a pu faire ni la réputation de La Bruyère, ni la sienne. » Cinquante ans de plus, en achevant de consacrer La Bruyère comme génie, ont donné à Vauvenargues lui-même le vernis des maîtres. La Bruyère, que le xviiie siècle était ainsi lent à apprécier, avait avec ce siècle plus d’un point de ressemblance qu’il faut suivre de plus près encore.

Dans ces diverses études charmantes ou fortes sur La Bruyère, comme celles de Suard et de Fabre, au milieu de mille sortes d’ingénieux éloges, un mot est lâché qui étonne, appliqué à un aussi grand écrivain du xviie siècle. Suard dit en propres termes que La Bruyère avait plus d’imagination que de goût. Fabre, après une analyse complète de ses mérites, conclut à le placer dans le si petit nombre des parfaits modèles de l’art d’écrire, s’il montrait toujours autant de goût qu’il prodigue d’esprit et de talent. C’est la première fois qu’à propos d’un des maîtres du grand siècle on entend toucher