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table. C’était d’ailleurs un fort honnête homme, de très bonne compagnie, simple, sans rien de pédant et fort désintéressé. Je l’avais assez connu pour le regretter et les ouvrages que son âge et sa santé pouvaient faire espérer de lui. » Boileau se montrait un peu plus difficile en fait de ton et de manière que le duc de Saint-Simon, quand il écrivait à Racine, 19 mai 1687 : « Maximilien (pourquoi ce sobriquet de Maximilien ?) m’est venu voir à Auteuil et m’a lu quelque chose de son Théophraste. C’est un fort honnête homme à qui il ne manquerait rien si la nature l’avait fait aussi agréable qu’il a envie de l’être. Du reste, il a de l’esprit, du savoir et du mérite. » Nous reviendrons sur ce jugement de Boileau : La Bruyère était déjà un peu à ses yeux un homme des générations nouvelles, un de ceux en qui volontiers l’on trouve que l’envie d’avoir de l’esprit après nous, et autrement que nous, est plus grande qu’il ne faudrait.

Ce même Saint-Simon, qui regrettait La Bruyère, et qui avait plus d’une fois causé avec lui, nous peint la maison de Condé et M. le Duc en particulier, l’élève du philosophe, en des traits qui réfléchissent sur l’existence intérieure de celui-ci. À propos de la mort de M. le Duc, 1710, il nous dit avec ce feu qui mêle tout, et qui fait tout voir à la fois : « Il était d’un jaune livide, l’air presque toujours furieux, mais en tout temps si fier, si audacieux, qu’on avait peine à s’accoutumer à lui. Il avait de l’esprit, de la lecture, des restes d’une excellente éducation (je le crois bien), de la politesse et des graces même quand il voulait, mais il voulait très rarement… Sa férocité était extrême, et se montrait en tout. C’était une meule toujours en l’air, qui faisait fuir devant elle, et dont ses amis n’étaient jamais en sûreté, tantôt par des insultes extrêmes, tantôt par des plaisanteries cruelles en face, etc. » À l’année 1697, il raconte comment, tenant les états de Bourgogne à Dijon à la place de M. le Prince son père, M. le Duc y donna un grand exemple de l’amitié des princes et une bonne leçon à ceux qui la recherchent. Ayant un soir, en effet, poussé Santeuil de vin de Champagne, il trouva plaisant de verser sa tabatière de tabac d’Espagne dans un grand verre de vin et le lui offrit à boire ; le pauvre Théodas si naïf, si ingénu, si bon convive et plein de verve et de bons mots, mourut dans d’affreux vomissemens. Tel était le petit fils du grand Condé et l’élève de La Bruyère. Déjà le poète Sarra-