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LA PRESSE FRANÇAISE.

à ces petits livrets qui résument en deux cents pages l’Art de parler et d’écrire correctement, et qui ne sont, après tout, que la métaphysique la plus subtile, la philosophie du langage !

Si tant de méthodes nouvelles sont proposées par les instituteurs, n’est-ce pas que l’expérience a démontré le vice de celles qui existent ? On a imaginé des mécanismes pour matérialiser la science : on a fait de l’étude, qui doit rester chose grave, un jeu, un hochet. Il suffirait, je pense, de remplacer les livres arides par des livres intéressans, quoique sérieux ; tout ce qu’on comprend intéresse. Le problème à résoudre serait donc celui-ci : trouver une série de démonstrations en proportion croissante avec l’intelligence des enfans. Les livres à refaire d’abord seraient ceux qui tiennent à l’exercice du raisonnement : c’est qu’à eux seuls ils constituent le bénéfice des années studieuses ; car le but des études n’est pas de faire des encyclopédies vivantes, comme on le promet ridiculement dans les prospectus d’écoles. Il s’agit moins de meubler l’esprit que de le féconder en développant l’organe qui lui donne prise sur toutes les connaissances, l’appareil logique. L’homme puissant n’est pas celui qui possède beaucoup de faits, mais celui qui voit clair à se conduire entre les faits.

Ajoutons que si une tâche essayée bien souvent n’a pas encore été remplie, c’est qu’elle exige la réunion des plus précieuses qualités : la connaissance parfaite de l’entendement humain ; beaucoup de science acquise, de l’observation, et pour tout dire en deux mots, l’alliance du savoir et du bon sens ; n’est-ce pas demander du génie ?

Après la scolastique vient un genre qui a pour objet, si l’on en croit les catalogues, de former l’esprit et le cœur de la jeunesse : c’est la littérature dont Berquin est le Voltaire. Cette industrie est assez importante pour occuper exclusivement plusieurs maisons de commerce. Voici le chiffre de sa production annuelle : 3,627 feuilles typographiques, donnant 422 ouvrages, tirés ordinairement à 2000, mais répandus à des nombres considérables dès qu’ils sortent un peu de la banalité. Cette branche de la librairie est la plus favorisée, en ce sens, qu’elle porte toujours des fruits. Pour qu’un de ces livres se vende jusqu’au dernier, il suffit qu’il soit écrit en style de nourrice, et qu’on ait glissé dans le titre le mot petit, exemple : les Petits Voyageurs, la Petite Ouvrière. Les éditeurs qui font l’éducation, voyant que les parens ne demandaient pas plus aux marchands de livres qu’aux marchands de poupées, n’ont employé longtemps que les naufragés de la littérature ; ou bien, si de temps en temps, des hommes distingués livraient leur nom, c’était que dans un urgent besoin de battre monnaie, ils avaient fouillé de vieux cartons, ou écrit des enfantillages, au courant de la plume. Les libraires entrent enfin dans une voie meilleure, et c’est l’instinct de la spéculation qui les y a