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provoquant ses adversaires à armes égales, et acceptant la raison publique pour juge du combat. Il fait école parmi les artistes, et son mielleux parler devient le vernis poétique à la mode !

Peu de science, a dit Bacon, éloigne de Dieu : beaucoup de science y ramène. Des études philosophiques, poursuivies avec tant d’ardeur, il y a quelques années, il n’était sorti qu’une évidence négative. Les hommes consciencieux furent obligés de reconnaître l’insuffisance des méthodes usitées jusqu’alors, pour arriver rationnellement à la certitude absolue. L’analyse cartésienne appliquée par Bossuet aux discussions ecclésiastiques, l’induction synthétique, empruntée à Bacon par l’école écossaise, et par notre école normale, ne résistaient pas à cette impitoyable critique que Kant avait enseignée : il fallait conclure avec ce puissant logicien que la métaphysique était sans fondemens saisissables par la seule intelligence. Mais des esprits sérieux ne pouvaient pas renoncer complètement à la science des principes. Il y eut dès-lors scission entre ceux qui avaient cherché la vérité dans les mêmes voies. Les uns, admettant les nécessités de chaque système, produisirent une sorte de fatalisme dont la morale est louche et inactive : c’est l’éclectisme qui prévaut aujourd’hui dans nos écoles. Les autres, en petit nombre, en revinrent à la formule des anciens Pères de l’Église : ils proclamèrent Dieu intelligent comme principe, se réservant d’expliquer plus tard le principe par ses conséquences.

Si cette dernière doctrine était restée dans les nuages de l’abstraction, elle n’eût pas occupé le public un seul instant. Mais les hommes qu’elle avait pour interprètes, possédaient cette parole éclatante et forte qui pousse au loin la pensée et multiplie les échos. Leurs convictions, fécondées par la science, ne pouvaient pas s’emprisonner long-temps dans les théories. L’hypothèse d’un Dieu créant le monde dans un but, les conduisit logiquement à la recherche de ce but lui-même. C’était descendre dans le champ clos de la polémique journalière, où se débattent les intérêts positifs ; c’était appeler en cause les peuples et ceux qui les régissent. Ainsi, l’Essai sur l’indifférence, posant comme base de la certitude philosophique l’approbation universelle, consacrait l’axiome : vox populi, vox dei, et annonçait les Paroles d’un Croyant, qui resteront comme le manifeste de la démocratie. D’un autre côté, M. Buchez proclamait que la révélation chrétienne s’est accomplie, moins pour le salut posthume de l’individu, selon la mesquine explication de nos prêtres, que pour le salut de l’humanité vivante, pour son amélioration progressive en ce monde. D’après lui, la pratique de l’église catholique, pendant plusieurs siècles, aurait tendu à la réalisation temporelle, politique, de cette loi puisée dans la morale de l’Évangile, dévouement du plus fort au plus faible. De cette formule il déduisait une science sociale qu’il a exposée dans plusieurs écrits, et surtout dans ces conversations intimes, dont il sait faire