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INCOMPÉTENCE LITTÉRAIRE DES ÉTRANGERS.

qui contribue à faire, en propres termes, un jugement fort grossier, comme j’ai remarqué déjà qu’on le disait fort poliment sous Louis XIV.

Une femme célèbre qui, en arrivant à la gloire, a été si indignement accueillie de toutes sortes d’injures qu’elle se doit à elle-même (pour le dire en passant) de redoubler de respect quand elle prononce certains noms illustres de son sexe ; cette femme, qui ne le cède à aucun homme en talent, n’échappe pas à la prise de l’auteur anglais. Il cherche ridiculement et en grammairien-commentateur l’origine de son nom emprunté ; il lui conteste son titre (fort réel) et ses armoiries (auxquelles elle ne tient guère) ; et cette légèreté railleuse, cette convenance de ton, ont vraiment leur prix et toute leur délicatesse, on le sent, de la part d’un auteur qui vient nous prêcher le décorum. Les parties contestables et critiquables de ce talent supérieur sont confondues avec ses pages les plus charmantes. Les œuvres les plus suaves et les plus chastes de sa plume ont passé chez l’auteur anglais qui nous lisait en masse, dans une même bouchée, pour ainsi dire, que les plus fortes ; Lavinia n’a fait qu’un seul morceau avec Leone Leoni. Pour prendre une comparaison tout-à-fait à la portée d’un respectable scholar, comme nous aimons à supposer qu’est l’auteur, c’est un peu, qu’il le sache bien, comme s’il avait avalé, sans s’en douter, Anacréon dans Archiloque. Indiana et Valentine tombent frappées du même coup que Lélia, laquelle est livrée net au bourreau. M. de Vigny doit se féliciter d’avoir échappé, tant par ses drames que par ses romans, productions d’un talent si rare et si fin, à cette critique quelque peu cyclopéenne. L’auteur anglais a fait du moins à M. de Balzac la grâce insigne de discerner son Eugénie Grandet d’avec le Père Goriot.

Quant à la question des respects dus au mariage, et des atteintes qu’un illustre auteur y aurait portées par ses écrits, et des conséquences sociales que l’écrivain anglais y rattache, c’est un point qui vient d’être traité, et par l’auteur même inculpé, contre un adversaire français trop distingué, trop capable et trop courtois, dans des termes trop parfaitement convenables et dignes[1], pour que je prétende m’en mêler. Ce sont là matières graves et discrètes, auxquelles d’ailleurs la défense, selon moi, nuirait presque autant

  1. Revue de Paris, 29 mai 1836.