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seule force dans le pays, l’élection. Le corps électoral perd son caractère de neutralité armée ; et dès lors il faut qu’il s’annulle ou qu’il se retrempe largement à la source commune des pouvoirs.

Le plus grand danger qui ressorte de l’état actuel en France, c’est la décadence progressive de l’influence des électeurs. Le corps électoral reçoit l’impulsion, il ne la donne plus. L’époque présente ressemble, par plus d’un côté, au temps du directoire ; on dirait que la partie active de la nation attend un maître, tant elle paraît avoir la conscience de sa nullité. Et, comme le gouvernement ne sent pas en lui ce qui manque à la majorité officielle, il en résulte des oscillations sans fin. Le pouvoir va de la chambre au ministère et du ministère à la chambre, flottant sans se fixer.

La composition de la chambre est l’indice le plus frappant de cette absence d’opinion dans le corps électoral. Elle renferme un bataillon de fonctionnaires publics, en plus grand nombre qu’ils ne se trouvaient du temps de M. de Villèle, dans l’armée des trois cents. On compte dans la chambre 96 magistrats, dont 38 n’ont pas une position inamovible et dépendent du ministère ; 50 membres de l’administration, dont 40 maires ; 47 officiers-généraux, ou officiers de terre et de mer ; 9 aides-de-camp du roi, ou employés de la liste civile ; et 4 membres de la diplomatie. Total : 206 députés, sur lesquels peut s’exercer l’influence de la couronne.

Les avocats et hommes de lettres sont au nombre de 155, les manufacturiers, banquiers, notaires, commerçans, etc., réunissent 45 voix ; il y a 153 propriétaires ou rentiers. Total : 253 membres indépendans par leur position.

Quand les opinions sont classées, et que la majorité sait ce qu’elle veut, ce n’est pas la position des candidats, c’est l’homme que l’on choisit. Mais lorsque les opinions sont incertaines, on se rattache à la position comme à un drapeau. De là l’influence du ministère sur les élections, bien que la majorité des électeurs n’ait pour lui ni haine ni sympathie prononcée.

Indépendamment de cette cause temporaire, la présence d’un certain nombre de fonctionnaires est à peu près inévitable dans une chambre française. En Angleterre, où l’aristocratie des deux couleurs, whigs ou tories, dispose des élections, l’on a compté, dans la chambre des communes : 50 fils de pairs, 52 fils ou frères de pairs, 75 parens ou alliés de pairs, et 82 baronnets. En France, l’aristo-