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à peu près universel dans les communes rurales, de retenir facilement cette multitude ignorante et sans passions politiques, sous la dépendance de la moyenne ou de la grande propriété.

La loi municipale porte donc l’empreinte d’une double influence. Elle a été faite dans des circonstances démocratiques, mais avec l’arrière-pensée de limiter le suffrage partout où l’élection, en s’étendant, devait donner la parole à une démocratie vivante et éclairée. Comme il n’arrive que trop communément en France, on a considéré non l’intérêt des localités ni celui de l’état, mais bien l’intérêt de l’opinion qui disposait, pour le moment, de la majorité. On a violemment accouplé, on a fait passer sous le niveau de la même loi les villes et les campagnes, deux civilisations inégales, deux élémens d’un ordre différent.

S’il est une vérité d’observation en France, c’est l’inégalité de civilisation qui existe entre les populations urbaines et les habitans des campagnes. Les villes ont commencé la révolution par ambition des droits politiques ; les campagnes, en haine de la dîme et des droits féodaux. Celles-ci sont profondément révolutionnaires, surveillent d’un œil d’envie toutes les supériorités de fortune, de rang, d’éducation, et ont une soif d’égalité qui les mène quelquefois à l’anarchie ; celles-là mettent la liberté au premier rang, ont un esprit public et recherchent l’exercice des droits politiques, le maniement des affaires, le mouvement des opinions.

Malgré l’unité du système, cette différence éclate d’une manière tranchée dans les élections municipales de 1831 et de 1834 ; le caractère de ces élections a été, dans les villes, un principe d’opposition aux anciennes administrations et au système du gouvernement ; dans les communes rurales, une réaction très vive de la petite contre la grande propriété.

M. Thiers reconnaît ces faits, mais en les atténuant. « Un symptôme, dit-il, remarqué presque universellement, est l’affaiblissement des dispositions jalouses qui, en 1831, avaient éloigné des conseils les citoyens jouissant des avantages de la fortune ou de l’éducation. Sous ce point de vue, la composition des conseils municipaux s’est améliorée. » Et plus loin. « L’influence politique a été nulle dans les campagnes ; mais là, les rivalités locales se sont exercées avec une action assez étendue. »

M. Thiers affirme que, même dans les villes, les opinions n’ont