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aristocratique si long-temps maintenue, qui ne permettait d’avancement qu’aux nobles et qui ôtait aux autres tout moyen d’instruction, tout espoir de commandement. Il n’y a pas jusqu’aux gaspillages actuellement existans dans notre grand port qui ne soient un reste des traditions de l’ancien régime. Les hommes de maintenant ne sont pas les fils de la république ; ce sont des élèves de la monarchie ; leur immoralité est née de ses leçons et de ses exemples. Vous allez voir Brest, Brest vous fera horreur et dégoût, car il est affreux à voir dans ce moment ; mais ne vous en tenez pas à la première impression. Le Brest d’autrefois était bien réglé ; le privilége, l’injustice, l’insolence, s’y trouvaient à l’état de bourgeoisie, et la tyrannie du grand corps avait quelque chose de convenu et de régulier qui la rendait, en quelque sorte, moins saillante. Dans le Brest d’aujourd’hui, au contraire, la réaction populaire se fait sentir avec toute sa nouveauté capricieuse. Elle est sans règle, sans suite, brute, ignorante, et elle se dépêche parce qu’elle a à prendre sa revanche de plusieurs siècles. Ce n’est plus le mal organisé comme autrefois, c’est le mal en désordre ; ce n’est plus un système inique, c’est une émeute féroce. Cependant, à tout prendre, l’état actuel est moins dangereux que celui qu’il a remplacé, parce qu’il est transitoire. Nous faisons une maladie aiguë dont nous pourrons guérir, tandis qu’autrefois le mal était dans notre constitution même. Songez à cela quand vous allez entrer dans la ville, et tenez-vous un peu sur la pointe du pied pour voir l’avenir par-dessus la tête du présent. Au surplus, ajouta-t-il, vous allez bientôt juger par vous-même de ce que je vous dis, car nous voilà arrivés.

iv.
BREST EN 94. — UNE EXÉCUTION.

Brest était en effet devant nous. Le léger dôme de vapeur qui couvre toujours les villes, paraissait l’envelopper jusqu’à sa base. De loin en loin pourtant, quelques pâles traînées de soleil, perçant au travers du brouillard, glissaient sur les édifices les plus élevés et jetaient sur Brest tout entier une lumière incertaine. Grace à cette vague lueur, on apercevait, derrière les arbres de