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BREST À DEUX ÉPOQUES

verte et avouée. En lisant pour la première fois un journal dans lequel on osait tout dire, chacun éprouva une sorte de saisissement et de peur. La presse était une arme inconnue, dont l’explosion fit sur tous le même effet que la poudre à canon sur les sauvages du Nouveau-Monde. Mais une fois cette première surprise passée, il y eut émulation d’audace ; ce fut à qui manierait l’arme nouvelle avec le plus de témérité. Chacun osa dire tout haut ce qu’il n’avait peut-être point osé jusqu’alors se dire à lui-même tout bas. On fouilla dans ses vieux ressentimens, on secoua tous les replis de son ame, on vida sa poche de fiel sur le papier, et la colère de tous s’accrut de la colère de chacun.

Je fus témoin, avant de quitter Brest, d’une scène qui me donna la mesure de l’opinion publique. C’était le soir : j’entrai dans un café habituellement fréquenté par les jeunes gens de la ville et les officiers bleus. Je fus étonné, en ouvrant la porte, de voir tout le monde réuni autour d’une table, près de laquelle un jeune homme était debout, un verre de punch devant lui, et parodiant avec gravité les cérémonies de la messe.

Je m’approchai d’un groupe, et demandai à un officier ce qu’on faisait là.

— On dit la messe du peuple breton, monsieur, me répondit-il, en mémoire des célèbres journées de Rennes.

Je prêtai l’oreille : dans ce moment le jeune homme répétait, à haute voix, cette partie de la messe appelée tractus dans les missels.


« Ce fut, pour les ignobles vaincus, un jour de ténèbres, d’affliction, d’angoisses.

« Les humbles furent élevés, et ils dévorèrent les superbes.

« Ils ont dû être confus, ces ignobles, pour avoir tenu une conduite abominable ; ou plutôt la confusion n’a pu les confondre, car ils ignorent ce que c’est que rougir.

« Ils ont mis le poignard aux mains de leurs serviteurs, et ils les ont payés pour répandre le sang du peuple.

« Loin d’en rougir, ils en ont tiré vanité, et loin de s’en repentir, ils ont gardé parmi eux ceux qui avaient sollicité cette horreur, et l’honneur de marcher à la tête des assassins.