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s’étourdissait vainement dans une dernière orgie de pouvoir ; elle s’abreuvait vainement à longs traits d’un orgueil qui la rendait ivre ; c’était le festin de Balthazar, et le Daniel qui devait expliquer l’inscription menaçante n’était pas loin.

À Brest même, comme je l’ai déjà dit, l’approche de la révolution qui allait renouveler la France commençait à se faire assez vivement sentir, et l’insolence aristocratique du grand corps s’était un peu adoucie. Les bourgeois et les officiers bleus pouvaient bien encore recevoir des insultes, mais non les souffrir patiemment. Une volonté d’insurrection contre les priviléges se manifestait partout ; l’esprit révolutionnaire soufflait dans toutes les ames. C’était je ne sais quoi de turbulent, d’audacieux, que l’on se communiquait par la parole, que l’on respirait dans l’air, que l’on sentait germer subitement en soi sans cause apparente. Les classes inférieures, jusqu’alors exploitées, semblaient toucher à une de ces heures de résolution que tout homme a connues, au moins une fois dans sa vie, et pendant lesquelles on joue sa tête à pile ou face ; espèce de fièvres de courage qu’il serait aussi difficile de motiver que ces prostrations morales, ces lâchetés magnétiques, qui se saisissent à certains momens des peuples ou des individus, et les livrent à la tyrannie du premier venu. Sans s’expliquer nettement cette situation nouvelle, les officiers de marine en avaient l’instinct. On le devinait à leur air moins absolu, moins conquérant, à je ne sais quelle prudente inquiétude qui se déguisait aussi mal que la triomphante allégresse de ceux du tiers. Les évènemens qui avaient eu lieu à Rennes, les 26 et 27 janvier, et la lutte sanglante des jeunes bourgeois contre la noblesse aidée de ses valets, étaient venus accroître la fermentation qui travaillait sourdement la population brestoise. On se réunissait dans les cafés pour lire la Sentinelle du peuple, qui venait d’être publiée à Rennes, et dont l’énergique langage ne ménageait déjà ni les idées ni les personnes. À cette époque, on n’avait point encore eu d’exemples d’une telle hardiesse. Des pamphlets clandestins avaient bien attaqué le roi, la reine, la noblesse et le clergé ; mais ces coups de poignard avaient été portés dans l’ombre, et sans qu’on pût dire au juste d’où ils partaient. Aujourd’hui il en était tout autrement. Les hommes qui osaient frapper ne se cachaient plus le visage ; en jetant leur cartel, ils le signaient de leurs noms. Ce n’étaient plus des assassinats anonymes, c’était une insurrection ou-