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BREST À DEUX ÉPOQUES

des impertinences assez adroites, assez multipliées pour trouver les jointures de la patience la plus solide. Et nul moyen de se préserver de ces attaques, car elles venaient vous chercher partout, sur les promenades, au spectacle, dans votre maison. La nuit surtout nul ne pouvait s’en croire à l’abri. Souvent, au milieu de votre sommeil, vous étiez réveillé par une voix lamentable qui vous appelait par votre nom : vous couriez ouvrir votre fenêtre, et à peine aviez-vous passé la tête dehors, qu’une brosse insolente vous peignait la figure à l’huile, aux grands éclats de rire des gardes de marine qui tenaient l’échelle du barbouilleur. Un autre jour, en vous levant, vous ne trouviez plus ni portes ni fenêtres à votre rez-de-chaussée, tout avait été muré pendant la nuit. Ici c’étaient des enseignes dont on avait changé la place, de telle sorte que l’affiche d’une sage-femme se trouvait sous le balcon d’un pensionnat de jeunes filles ; là le réverbère que l’on s’était amusé à descendre dans le puits banal, tandis que le seau avait été hissé à la potence du réverbère.

Et qu’on ne croie pas que l’insolence des gardes de pavillon se bornât à ces insultes anonymes et individuelles. Parfois elle s’adressait à la population entière. Un jour, par exemple, ils se disaient : Il n’y aura pas de spectacle ce soir ; et quand vous arriviez avec votre fille ou votre femme pour voir la pièce nouvelle, vous trouviez deux de ces messieurs à la porte du théâtre, le chapeau sur l’oreille, l’épée à la main, qui vous disaient tranquillement : — On n’entre pas, — en vous mettant la pointe au visage, et il vous fallait rebrousser chemin. Un autre jour, c’était une promenade qui était ainsi mise en interdit. À ceux qui se présentaient, on criait de loin : — Les gardes de marine se promènent, monsieur ! — Et il fallait se retirer. Anciennement cette audacieuse licence était allée plus loin, et les officiers supérieurs eux-mêmes en avaient donné l’exemple. On tendait des filets dans les carrefours ; on prenait au piége les jeunes servantes qui sortaient, le fanal à la main, pour aller chercher leurs maîtresses, et on ne les relâchait que le lendemain. Les bourgeoises elles-mêmes ne pouvaient se montrer dans les rues, une fois la nuit close, sans s’exposer à être insultées. La fille d’un marchand de la rue des Sept-Saints (alors fort différente de ce qu’elle est aujourd’hui) fut enlevée, en sortant des prières du soir, et quand, huit jours après, on la rendit à son père, elle était folle ! Cette fois l’affaire fit du bruit ; le peuple murmura : on trouva l’espièglerie trop