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fiques journées d’hiver dans ces climats ; la température plus régulière de nos contrées ne peut réunir dans un temps donné toutes ces nuances fines et douces qui semblent prises à chacune des saisons.

Arrivés à une de ces petites collines, nous aperçûmes deux cavaliers, marchant au pas et causant ensemble avec une tranquillité affectée. Je tirai la longue-vue, et, grace à son secours, je pus voir distinctement que l’un d’eux tenait une lance au raz de terre, tandis que son compagnon cachait une carabine le long de sa selle ; des chapeaux pointus, des bonnets de paille ornés de longs rubans, surgirent peu à peu, et nous comptâmes neuf ou dix cavaliers diversement armés. Ils s’avancèrent sur deux rangs, mais arrivés plus près, les voilà qui s’étendent sur une ligne et nous cernent d’assez loin encore. Nous étions sur nos gardes ; on passa les armes aux péons en les exhortant par des menaces à se bien conduire ; un seul d’entre eux, homme de cœur, vieux soldat, prit la bride dans ses dents, et saisit le sabre avec lequel il avait fait jadis les guerres du Pérou. Mais au moment où nous pressions la languette de nos armes braquées par les fenêtres de la galère, les gauchos s’arrêtèrent, puis se mirent à rétrograder lentement. Ce qui contribua le plus efficacement à les contenir, ce fut cette large gueule du tromblon étincelant au soleil et qui offusquait successivement tous ces bandits à mesure qu’ils tournaient autour de nous. Cependant ils députèrent un des leurs (qui, je ne sais par quel hasard, portait en croupe un enfant de huit à dix ans), sous prétexte de réclamer un des chevaux de notre attelage. Il examina attentivement nos forces. Peu inférieurs en nombre, nous avions l’avantage sous le rapport de la qualité des armes. Après dix minutes environ d’attente, nous eûmes une seconde alerte : le cri sauvage du gaucho retentit à nos oreilles, et l’un d’eux fondait déjà sur nous au galop en faisant tourner sa lance avec une étonnante dextérité ; mais les autres ne le suivirent point, et il battit en retraite.

Toutefois il fallait se hâter de gagner un gîte ; d’autres cavaliers passaient ventre à terre dans la plaine, le sabre en main ; ils poursuivaient un troupeau de moutons au milieu duquel ils firent un grand carnage, frappant d’estoc et de taille avec l’impétuosité de don Quichotte. Cette manière de se procurer des vivres indiquait assez à quelles gens nous avions affaire. Nous étions tout-à-fait au