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LES MONTONEROS.

dans l’angle de l’estrade, suspendit sa guitare près de la madone, et rejeta son schall sur ses épaules. Le mari, fortement empreint de cet air d’indolence qui caractérise les habitans de la province, parut embarrassé de notre présence ; cette gêne redoubla quand il fallut demander les passeports, il fit semblant de les lire en les tenant en sens inverse, et après avoir vu clairement que nous avions besoin de chevaux pour le lendemain, il dit avec sang-froid : « Les montoneros étaient ici il y a quatre jours. » Ce qui signifiait : Il ne me reste pas un cheval.

Notre dernière ressource consistait à atteler des bœufs à la coche galera et à aller ainsi chercher fortune ailleurs : Mais ce digne homme, effrayé du passage fréquent des troupes, avait chargé sur un chariot ses effets les plus précieux et dirigé le tout vers Cordova, mettant en sûreté l’attelage avec la charrette ; bien entendu que les postillons avaient suivi les bandes armées.

Toute délibération fût remise au lendemain, et je pris possession de la galère qui me servait de tente depuis Buenos-Ayres. L’orage alla croissant ; la cabane pliait sous la violence de la bourrasque, la maison en était ébranlée ; les péons, mal abrités, se tenaient serrés autour du feu mourant ; blottis sous leurs couvertures, la tête cachée sous la peau de bœuf qui sert de base à la selle (carona), ils commencèrent à ronfler. Un lac se forma dans la cour. Comment dormir au milieu de ce vacarme ? Lorsque le jour s’annonça, il y avait sur chaque tige, sur chaque feuille de roseaux, à moitié brisée par la tempête, des milliers de petites perruches vertes à longue queue, gardant à grande peine leur équilibre, et toutes à la fois témoignaient leur déplaisir par des cris rauques et perçans. Les animaux, dans ces pays peu habités, ont un instinct merveilleux qui les porte à se réunir autour de la demeure des hommes à l’approche du mauvais temps.

La Sierra, dont nous nous étions singulièrement rapprochés pendant notre marche nocturne, se montra couverte de neige. Les rochers, revêtus d’une teinte sombre inaccoutumée, accrochaient dans leur vol les nuages qui semblaient s’être oubliés là abandonnés par l’ouragan.

Quand un gaucho s’est mis en tête de ne pas faire une chose, ni supplications ni menaces ne peuvent lui arracher une réponse. Ceux de la cabane, jeunes gens, incapables de servir de guides, ne