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succès signalés furent suivis d’irréparables revers. La discorde et la trahison se glissèrent dans le sein des communes ; les secrets de la junte furent vendus par un traître jaloux de Padilla ; il n’y avait plus d’espoir que dans un coup prompt et décisif, Padilla résolut de le tenter.

— « Seigneur, lui dit son chapelain le matin même où il partait pour livrer bataille, j’ai autrefois étudié l’astrologie, et d’après ce que j’ai appris du cours des astres, j’ai vu que la fortune vous est contraire, et je vous supplie de ne pas vous mettre en marche.

— Eh bien ! répondit Padilla en souriant, nous allons donc voir aujourd’hui si l’astrologie est une science véritable. »

En disant ces mots, il passa son armure, fit sonner les trompettes et partit. Il arriva aux plaines de Villalar, où, prévenue de son approche par des transfuges, l’armée royale l’attendait. C’était le 23 avril 1521. À peine eut-il donné l’ordre d’attaque, que la défection se mit dans ses troupes ; la trahison portait ses fruits ; les élémens eux-mêmes se liguèrent contre lui. Il comprit qu’il était perdu ; il n’en combattit pas moins en héros au cri de Santiago ! Libertad ! La cuisse coupée d’un revers d’épée, il tomba de cheval, et comme il était couché sur la terre sanglante, un lâche, nommé Juan de Ulloa, lui porta au visage un coup de lance qui le blessa légèrement, mais qui tua (dit le chroniqueur) l’honneur de celui qui l’avait porté. Désarmé et obligé de se rendre, il fut conduit prisonnier à Villalar. Les célestes présages n’avaient donc pas menti.

Son procès fut bientôt fait. — « Tolède, s’écria une voix du conseil de régence, Tolède ne baissera la crète que lorsque Padilla ne sera plus ! » — Ces paroles étaient un hommage rendu au grand citoyen, elles furent son arrêt de mort ; il fut condamné sans même avoir comparu. Il écouta sa sentence avec calme, et appelant un confesseur, il remplit ses devoirs religieux avec une tranquillité stoïque ; c’est alors, c’est dans les douleurs d’une blessure profonde ; à la vue du couteau qu’on aiguisait pour lui, c’est à cette heure suprême qu’il écrivit à sa femme et à sa ville natale ces deux lettres touchantes que l’histoire a heureusement conservées, et qui respirent un héroïsme si naïf à la fois et si réfléchi, qu’on ne saurait les lire sans respect et sans attendrissement.

« Madame, écrit-il à sa femme, si votre affliction ne me touchait