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L’ESPAGNE EN 1835.

seuil de plusieurs de nos administrations publiques. Qu’on me permette de la citer :


Nobles discretos varones
Que Gobernais à Toledo,
En aquestos escalones,
Desechad las aficiones,
Codicias, amor y miedo.
Por los commues provechos
Dexad los particulares :
Pues vos fizo Dios pilares
De tan altisimos techos
Stad firmes y derechos
[1].


Je ne sais si les magistrats de Tolède méditent bien assiduement la leçon du poète ; mais, ce soir-là, ils étaient réunis en grande pompe sur le balcon, et présidaient à la cérémonie avec la gravité de sénateurs romains sur leur chaise curule. Leur présence n’empêchait pas la turbulente Tragala ni les calembours factieux d’ébranler les échos de la basilique.

L’Ayuntamiento était illuminé du haut en bas, mais à côté de lui était un palais sombre, silencieux, dont toutes les croisées étaient si hermétiquement closes, qu’on aurait pu le prendre pour une maison abandonnée, ou pour une maison de deuil ; ce palais mystérieux était l’archevêché, édifice imposant par sa grandeur et remarquable seulement par son architecture simple et austère. L’éclat mondain du palais voisin faisait ressortir sa sévère obscurité ; et rougies par les reflets du feu d’artifice, les statues saintes dont le seuil est gardé, semblaient en défendre l’entrée aux joies profanes du dehors. On eût dit des ombres à la porte d’un tombeau. Le contraste était frappant ; mais ici le contraste n’était pas seulement dans les apparences, il était dans le fond des choses ; au sein de ce palais muet, l’archevêque protestait par son silence contre ces bruyantes acclamations.

  1. Hommes prudens et nobles qui gouvernez Tolède, déposez sur ces marches affections, cupidité, amour et crainte. Sacrifiez les intérêts privés aux intérêts communs ; et puisque Dieu vous a faits les colonnes d’un si haut édifice, soyez fermes et droits.