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L’ESPAGNE EN 1835.

Carmagnole de l’Espagne, comme l’hymne de Riégo en est la Marseillaise, faisait çà et là quelques percées insurrectionnelles.

De quoi donc s’agissait-il ? Pourquoi ces rassemblemens profanes aux parvis du temple, ces cris séditieux jetés en défi aux saints échos des autels ? On avait, le jour même, publié à Tolède la loi des cortès qui déclarait rebelle et traître à la patrie l’infant don Carlos, annulait tous ses titres au trône, et l’excluait à jamais, lui et les siens, du territoire espagnol. Or, le feu d’artifice officiel était destiné à témoigner de la joie publique, ou à la provoquer, au besoin, si elle ne se manifestait pas avec une spontanéité suffisamment énergique. Il faut dire, pour être vrai, que la précaution n’avait pas été inutile : l’enthousiasme était fort tiède. Tolède est la ville la plus carliste de toute l’Espagne, et cela doit être, car Tolède est une ville toute sacerdotale. L’arrêt de proscription n’y éveillait que des sympathies fort équivoques. On pensait, et en cela peut-être n’avait-on pas tort, qu’une fois la guerre engagée et les armées en présence, il est au moins puéril à un camp de proscrire l’autre ; c’est trop tard ou trop tôt : il ne s’agit plus de combattre sur le papier, il faut vaincre par l’épée.

Le feu d’artifice n’en décochait pas moins au ciel ses fusées sifflantes comme des flèches, et les tournoyans soleils projetaient sur la place des reflets fantastiques. Les murailles grises se teignaient de lueurs rougeâtres, et l’ombre des assistans s’y dessinait sous toutes les formes. Trop haut pour être atteint par les clartés d’en bas, le clocher dominait le tableau de sa masse noire et immobile. La foule était peu nombreuse, mais pittoresquement groupée ; tantôt éclairée, tantôt dans l’ombre, elle passait par toutes les teintes, par toutes les gradations de la lumière. Nonchalamment appuyés contre l’église, quelques hommes en manteaux représentaient seuls le peuple à la fête ; encore s’y intéressaient-ils peu ; leur attitude froide et dédaigneuse disait assez que la curiosité seule les attirait là. Ils n’avaient pas l’air de prendre la chose au sérieux ; on voyait sur leurs lèvres ce sourire indéfinissable qu’a le peuple espagnol quand il croit qu’on se moque de lui, et que Cervantès a stéréotypé en traits indélébiles sur la face classique de Sancho Pança.

Les rois du lieu étaient les étudians ; ils étaient en force et faisaient la loi. L’étudiant espagnol est aujourd’hui ce qu’il était au xvie siècle : mêmes mœurs, même misère. J’ai fait l’aumône à