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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

mon jardin, les cyprès des morts chéris ; je marchais vite et d’un pied léger, j’allais comme dans un rêve, m’étonnant de ma longue absence, me hâtant d’arriver. Tout d’un coup je me suis aperçue de ma distraction, je me suis rappelé que la haine avait fait de la maison de mes pères une forteresse dont il me fallait faire le siége en règle avant d’y pénétrer. Marie ! ô mon aïeule aux cheveux blancs ! quand j’ai dit adieu au seuil sacré, j’ai emporté une branche de l’arbre qui abrite ton éternel sommeil. Est-ce là tout ce qui doit à jamais me rester de toi ? Tu dors auprès de ton fils bien-aimé, mais à ta gauche n’y a-t-il pas une place vide qui m’est réservée ? Mourrai-je sous un ciel étranger ? Irai-je traîner une vieillesse misérable loin de l’héritage que tu me conservais avec tant d’amour, et où j’ai fermé tes yeux, comme je souhaite que mes enfans ferment les miens ? Ô grand’mère ! lève-toi et viens me chercher, déroule ce linceul où j’ai enseveli ton corps brisé par son dernier sommeil ; que tes vieux os se redressent, et que ton cœur desséché palpite à cette chaleur bienfaisante de midi. Viens me secourir ou me consoler ; si je dois être à jamais bannie de chez toi, suis-moi au loin. Comme les sauvages du Meschacébé, je porterai ta dépouille sur mes épaules, et elle me servira d’oreiller dans le désert. Viens avec moi, ne protège pas ceux qui ne te connaissent pas, et que tes mains n’ont pas bénis… Mais non, grand’mère, reste auprès de ton fils, mes enfans iront encore saluer ta tombe ; ceux-là te connaissent sans t’avoir jamais vue. Mon fils ressemble à ce Maurice tant aimé de toi, auquel je ressemble tant moi-même ; ma fille est blanche, grave et déjà majestueuse comme toi. C’est là ton sang, Marie ; que ton ame aussi soit en eux ; si leur mère leur est arrachée, que ton souffle veille sur eux et les anime, que ta cendre soit leur palladium éternel, que dans la nuit ta voix douce ou sévère les console ou les gourmande… Ah ! si tu vivais, tout ce mal ne me serait pas arrivé, j’aurais trouvé dans ton sein un refuge sacré, et ta main paralytique se fut ranimée pour se placer, comme celle du Destin, entre mes ennemis et moi. — Je meurs trop tôt pour toi, — m’as-tu dit la veille du dernier jour. Pourquoi m’as-tu quittée, ô toi qui m’aimais, toi qui n’as jamais été remplacée ? toi qui chérissais en moi jusqu’à mes défauts, toi qui maniais comme la cire mes volontés de fer, et qui faisais courber d’un regard cette tête rebelle à la foudre ! toi qui m’as appris pour mon éternel regret, pour mon éternelle soli-