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LETTRES D’UN VOYAGEUR.


PRIÈRE D’UNE MATINÉE DE PRINTEMPS.
Avril 1835.

Brise printanière, que racontes-tu aux jasmins de ma croisée ? Que se passe-t-il au pays d’où tu viens ? Qu’as-tu appris dans les forêts, dans les vallées que tu traversais tout à l’heure ? As-tu entr’ouvert beaucoup de fleurs ? as tu séché beaucoup de larmes ? Éveille, si tu veux, l’hirondelle qui dort à l’angle de ma fenêtre. Elle a des ailes, et, comme toi, elle peut en un instant aller voir, au-delà des bleus horizons, comment l’herbe pousse, et comment ses sœurs se réjouissent ; mais ne viens pas ainsi baiser mon front et murmurer à mon oreille les paroles de je ne sais quel vague désir, car moi, je suis captive et ne puis m’élancer avec toi dans les champs de l’immensité.

Jeune hirondelle, tu gazouilles au fond de ton nid. Tu réponds à la brise qui t’appelle et t’invite. Que vas-tu faire ? Tes ailes sont à peine poussées ; eh quoi ! tu te laisses séduire ? Te voilà partie, partie dès le matin, douce hôtesse, qui semblais vouloir partager encore aujourd’hui ma retraite ! Va donc, pauvrette, le ciel est si beau, l’air si suave ! Les oiseaux et les fleurs s’éveillent, ah ! comment ne serais-tu pas pressée de voir, de posséder et de vivre ?

Te voilà balancée sur tes ailes débiles, imprudente ! Te soutiendront-elles ? Oh ! oui, la brise te portera, la Providence l’a faite pour toi, comme elle a fait pour toi les insectes des marais et la glaise des rivages. Tu ne lui demandes que ce qu’elle te doit ; aussi ne te manque-t-elle jamais. Nature, belle nature, heureuse et féconde, seras-tu muette pour moi seule ? Ô Providence ! mère universelle, suis-je donc le seul être que vous vouliez laisser périr ? Qu’ai-je fait pour languir, et pour ne pas trouver le remède auprès de la blessure, selon vos lois immuables ? Si mon cœur s’affecte profondément pour une cause, pourquoi ne trouvé-je pas la force de me consoler dans ce même cœur qui a la force de tant souffrir ? Il en doit être ainsi, mon Dieu ! et certainement, si j’écoutais bien ta voix, ta voix sublime qui parle à toute la nature une langue universelle, si je ne fermais pas une oreille stupide à cette grande parole de vie qui m’est criée par toute la création, mon ame s’élancerait dans l’espoir et dans l’avenir, comme l’hirondelle dans l’espace et dans la brise.