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mis tout entier à l’expédition nouvelle, et par son zèle à faire appel aux dispositions du gouvernement et à s’adjoindre de dignes compagnons, il a été comme l’ame formatrice de l’entreprise. Il s’est associé pour la partie littéraire, jusqu’ici trop négligée en ces sortes de voyages, un de nos amis et collaborateurs, M. Marmier, qui recherchera ce qui peut rester en Islande d’anciennes habitudes poétiques, ce pays comme on sait, ayant été le dernier asile de la poésie scandinave. M. Marmier ne se bornera pas à noter, suivant le mot spirituel de M. Villemain, s’il y a des gondoliers de l’Islande comme des gondoliers de Venise ; il aura à décrire les mœurs, l’état du pays, etc. L’Académie française, à défaut du ministère de l’instruction publique, a chargé M. Marmier de ce travail, et c’est à elle qu’il devra adresser sa relation, qui paraîtra successivement dans la Revue des Deux Mondes. L’Académie française a pensé qu’il convenait qu’elle fût représentée aussi dans ces voyages où jusqu’ici l’Académie des Sciences l’avait été seule. C’est un heureux précédent. M. Marmier a donc commission officielle de l’Académie, qui a appliqué à cet effet une portion de la somme affectée exclusivement jusqu’ici aux prix Monthyon : autre innovation d’un heureux exemple et qui n’en restera pas là, nous l’espérons. Les académiciens qui se sont le plus montrés favorables à cette généreuse et libre interprétation, méritent remerciement. L’Académie française, d’après l’état financier où a contribué à la placer la gestion si entendue (même au temporel) de son spirituel secrétaire, a, je crois, aujourd’hui un revenu net de 52 ou 53 mille francs : qu’on juge combien des emplois bien ménagés de cette somme pourraient provoquer et encourager d’utiles travaux ! L’application faite à M. Marmier est un premier pas hors de la lettre et de la routine.


Théâtres. — On a beaucoup parlé des tendances religieuses de notre époque : on a cherché à voir dans ce mouvement des esprits, plutôt poétique et sentimental que religieux, à proprement parler, une réaction contre les idées et les conquêtes du xviiie siècle. C’est peu exact et peu généreux ; si l’on comprend aujourd’hui le moyen-âge sous ses divers aspects, dans ses cathédrales, dans ses liturgies, dans ses romans, c’est qu’on le connaît mieux, c’est qu’on l’a plus longuement étudié. Or, à qui devons-nous de pouvoir étudier, comprendre, admirer tout à notre aise le moyen-âge, si ce n’est aux labeurs, aux combats, à la persévérance des encyclopédistes ? C’est pourquoi la réaction religieuse de la restauration, qui niait le xviiie siècle, et voulait brûler une seconde fois Voltaire et Rousseau, excita une répugnance universelle, tandis que les idées religieuses reprenaient faveur, grace aux travaux des historiens et des artistes.

Le théâtre ne précède jamais le mouvement de la société, il le suit : le théâtre n’a pas salué, dès leur aurore, les idées religieuses, il a fallu qu’elles se fussent infiltrées, peu à peu, dans un certain nombre de bons esprits pour qu’il songeât à s’en servir. En effet, le théâtre ne s’adresse point à des lecteurs privilégiés, mais à une masse dont il est chargé de