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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

de gentilshommes qui habitait ce château, à la naissance de Charles-Achille-Victor de Broglie, cet enfant couronné de tant de beaux noms militaires, dans ses langes, n’était pas une race dégénérée de ses ancêtres. C’était le maréchal de Broglie, qui avait débuté soixante ans auparavant, à l’armée de Bohême, que commandait son père, et qui portait encore vigoureusement ses vieilles blessures des lignes de Weissembourg, de la bataille de Haguenau, du siége de Fribourg, de l’armée de Flandres et de la guerre de sept ans ; qui parlait à ses enfans de la régence, du maréchal d’Estrées, du maréchal de Contades, du prince de Soubise et de Mme de Pompadour, qui commanda si long-temps tous ces généraux ! C’était ensuite l’abbé de Broglie, un abbé qui eût été digne d’être l’aumônier de Grégoire VII, qui fut prévôt en Pologne, évêque en Piémont et dans les Flandres, après avoir passé de longues années dans le donjon de Vincennes, où le relégua Napoléon, et qui fut déposé de son siége épiscopal de Gand, en punition d’avoir commencé trop tôt la révolution catholique des Pays-Bas. C’était encore le fils aîné du maréchal, soldat depuis l’âge de quatorze ans, qui, après avoir embrassé son nouveau-né, s’en alla combattre pour la liberté américaine, avec Lafayette, parce qu’il fallait bien qu’un de Broglie se battît quelque part, laissant en garde à toute cette vaillante famille son seul enfant, et sa femme, une femme digne de vivre au milieu des Broglie, elle qui était fille du grave et modeste maréchal de Rosen, notre second Catinat. C’était enfin le second fils du maréchal, que nous avons vu encore si vif, si ardent sur ses vieux jours, aussi violent, aussi soldat sur les bancs de la chambre des députés, que dans le régiment émigré des cocardes blanches que son père forma sur le Rhin, et pour lequel il abandonna l’église qui ne lui convenait pas mieux qu’à son oncle, le turbulent abbé de Broglie. Voilà au milieu de quels hommes se passa l’enfance de M. le duc de Broglie ; voilà sous quelles influences il naquit ! Le berceau de l’homme le plus pacifique qui soit au monde fut ombragé par des drapeaux conquis, l’esprit le moins accessible aux séductions de la gloire militaire n’eut pour premières instructions que des récits de batailles, et quelles batailles ! celles où avaient figuré son bisaïeul et son grand-père, et son père qui les lui contait. Sa jeunesse se passa au milieu du trouble des guerres et des révolutions ; et à vingt ans, Napoléon lui mit en main une épée qu’il