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fermement du siècle, de la philosophie, de l’expérience qui examine, va jusqu’au bout et ne se rend pas ; elle ne fait intervenir aucun élément mystérieux et irrationnel dans l’éducation. C’est par là qu’il la faut distinguer assez essentiellement de Mme Necker de Saussure, cet autre auteur excellent, et avec laquelle elle s’est rencontrée d’ailleurs sur tant de détails, comme Mme Necker elle-même se plaît à le faire remarquer en maint endroit de son second volume. Elle tient une sorte de milieu entre Jean-Jacques et Mme Necker, à la fois pratique comme Jean-Jacques ne l’est pas, et rationnaliste comme Mme Necker de Saussure ne croit pas qu’il suffise de l’être. Au tome second, les lettres xlix, l et suivantes, traitent à fond, dans une admirable mesure, toute la question si délicate, si embarrassante, de l’éducation religieuse à donner aux enfans. Si la manière de voir de Mme Guizot ne peut atteindre ni satisfaire ceux qui ont là-dessus une opinion très arrêtée, de pure foi et rangée à la tradition rigoureuse, elle a cet avantage de répondre, de s’adapter à toutes les autres opinions et situations plus ou moins mélangées qui sont l’ordinaire de la société actuelle, et d’offrir un résultat praticable à Mme Mallard comme à Mme de Lassay. À un endroit de cette discussion, le nom et l’autorité de Turgot sont invoqués, et l’on sent comment les prédilections de l’auteur reviennent encore et s’appuient par un bout au xviiie siècle, mais relevées et agrandies. Le livre de Mme Guizot restera après l’Émile, marquant en cette voie le progrès de la raison saine, modérée et rectifiée de nos temps, sur le génie hasardeux, comme en politique la Démocratie de M. de Tocqueville est un progrès sur le Contrat social. Essentiel à méditer, comme conseil, dans toute éducation qui voudra préparer des hommes solides à notre pénible société moderne, ce livre renferme encore, en manière d’exposition, les plus belles pages morales, les plus sincères et les plus convaincues, qu’à côté de quelques pages de M. Jouffroy, les doctrines du rationalisme spiritualiste aient inspirés à la philosophie de notre époque.

Jusqu’à quel point, indépendamment de ses travaux personnels, Mme Guizot prenait-elle part à ceux de son mari, à tant d’honorables publications accessoires dont il accompagnait son œuvre historique fondamentale, et dans lesquelles, à partir de la traduction de Gibbon, elle put être en effet son premier auxiliaire. Qu’il nous suffise de savoir qu’elle avait épousé tous ses intérêts, ses labeurs