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ÉCRIVAINS CRITIQUES ET MORALISTES FRANÇAIS.

demeuraient pratiquement fidèles à leurs habitudes d’esprit et à leurs goûts fins d’autrefois, ne se trouvaient pas réellement représentés par la Décade, et se trouvaient chaque matin soulevés et indignés autant qu’ils pouvaient l’être, par les diatribes et les palinodies du Journal des Débats ou du Mercure. Mlle de Meulan, introduite au Publiciste dès l’origine par l’amitié de M. Suard, y trouva donc une nuance suffisamment conforme à celle de sa pensée, et un cadre commode à des essais de plus d’un genre. Elle ne tarda pas à y exceller. Durant près de dix ans qu’elle écrivit dans cette feuille sur toutes sortes de sujets, sur la morale, la société, la littérature, les spectacles, les romans, etc., etc., on ne saurait se faire idée, à moins de parcourir les articles mêmes, du talent varié, de la fécondité et de la justesse originale qu’elle déploya. Tantôt anonyme, le plus souvent signant de l’initiale P, quelquefois de l’initiale R, ou sous une infinité d’autres, tantôt se répondant par un personnage emprunté et controversant avec elle-même, attaquant vivement les Geoffroy, les Fiévée, M. de La Harpe, M. de Bonald (car elle aimait la polémique et ne s’y épargnait pas), reprenant et jugeant, à l’occasion de quelque éloge académique ou de quelque réimpression, Vauvenargues, Boileau, Fénelon, Duclos, Mme de Sévigné, Mme de La Fayette, Mme Des Houlières, Ninon, Mme Du Chatelet ; ne manquant pas de les venger des sottes atteintes ; caractérisant au passage Colin d’Harleville, Beaumarchais, Picard, Mme Cottin, Mme de Souza ; dissertant de l’élégie, ou bien morigénant doucement Mme de Genlis ; sa verve de raison ne se ralentit point à tant d’emplois, et ne s’égare jamais aux vaines phrases. Elle a dit quelque part de la raison chez Boileau : « C’était en lui un organe délicat, prompt, irritable, blessé d’un mauvais sens comme une oreille sensible l’est d’un mauvais son, et se soulevant comme une partie offensée sitôt que quelque chose venait à la choquer. » Il y a un peu de cette vivacité, de cette vigilance de raison, en Mlle de Meulan, durant la période si active où nous l’allons suivre. Tout ce côté d’elle, critique littéraire, polémique philosophique, n’est pas connu autant qu’il le faudrait. Les deux volumes, intitulés Conseils de Morale, ont été presque en entier formés de pages extraites çà et là dans ses articles, de débuts piquans et originaux de feuilletons à propos de quelque comédie du temps oubliée. Mais on a laissé en dehors ses jugemens sur les auteurs. En parcourant avec un inexprimable