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miers essais avec une bienveillance suivie, attentive. Un piquant morceau écrit en 1807, des Amis dans le malheur, me paraît contenir quelques allusions à cette situation des années précédentes. Tous les amis de Mlle de Meulan ne furent pas sans doute pour elle aussi essentiels, aussi effectifs que MM. De Vaines et Suard. Les mêmes personnes qui, plus tard, la plaignaient si charitablement d’être devenue journaliste purent la faire quelquefois sourire ironiquement par leurs conseils empressés et vains. « Beaucoup d’amis à compter, disait-elle, sans pouvoir y compter ; beaucoup d’argent à manier, sans pouvoir en garder ; beaucoup de dettes, pas de créances, beaucoup d’affaires qui ne vous rapportent rien. » Elle songeait probablement dans ces derniers mots à ses propres embarras domestiques, à cette fortune de plusieurs millions, entièrement détruite, qu’elle sut arranger, liquider comme on dit, sans en rien sauver que la satisfaction de ne rien devoir. Elle déploya à ce soin, durant des années, une faculté remarquable d’action et d’entente des affaires, qu’elle contint du reste en tout temps à son intérieur.

Le premier essai littéraire de Mlle de Meulan fut un roman en un volume, intitulé les Contradictions ou ce qui peut en arriver, et publié en l’an vii : elle avait vingt-six ans environ. Ce début me semble caractéristique, étant d’un auteur si jeune et femme. Le héros, au premier chapitre, s’éveille le décadi matin, heureux d’aller se marier le même jour avec l’aimable et vive Charlotte. Son domestique, Pierre, espèce de Jacques le Fataliste honnête et décent, l’habille en disant suivant son usage : « Eh bien ! ne l’avais-je pas toujours dit à Monsieur ? » On va chez la fiancée qui est prête, et de là à la municipalité où l’on attend ; mais l’officier municipal ne vient pas, sa femme est accouchée de la veille, il faut bien qu’il ait son décadi pour s’amuser avec ses amis et fêter la naissance de son enfant. « Ce sera pour demain, » se dit chacun, et l’on s’en revient un peu désappointé ; le rival, qui est de la noce en qualité de cousin de Charlotte, sourit ; l’optimiste Pierre répond à son maître tout irrité, par son mot d’habitude : « Qui sait ? » Le lendemain il pleut, on arrive trop tard à la municipalité, et l’officier n’y est déjà plus. Le surlendemain, il faut que le fiancé parte en toute hâte pour assister une vieille tante qui se meurt. Bref, de décadi en primidi, de primidi en duodi, de contre-temps en contretemps, le mariage avec Charlotte, qui est coquette, ne peut man-