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de n’être ni désirées ni comprises ; la plupart devançaient les temps, ce qui est un malheur irrémédiable pour les idées comme pour les hommes. Le plus grand nombre étaient absurdes, odieuses, révoltantes en elles mêmes et par les moyens employés dans leur exécution.

Le despotisme peut quelquefois être réformateur, mais c’est à deux conditions. Il faut d’abord qu’il ait la force en main ; il faut surtout qu’il agisse au profit d’une idée féconde et légitime, et qu’il s’appuie sur un droit supérieur à tous ceux qu’il viole. Or, les vues de Joseph étaient presque toujours inspirées par une philosophie mesquine et des idées administratives trop uniformes pour être alors applicables ; et le comte Belgiojoso, son ministre, le Van Maanen de la révolution brabançonne, était odieux, sans être redoutable.

Le nouvel empereur était à peine monté sur le trône, que, pour mériter les éloges des hommes de la tolérance, il rendit d’innombrables édits, où le ridicule de la minutie le disputait à l’odieux de l’arbitraire. C’est ainsi, par exemple, qu’il régentait la discipline des couvens, le chant, les heures à consacrer aux prières. Les édits indiquaient les passages que les chanoines religieux de l’ordre de Saint-Augustin auraient à effacer de leur bréviaire ; d’autres attaquaient sans motif les populations rurales dans leurs plus vieilles et leurs plus innocentes habitudes. Celui du 11 février 1786 portait : « Toutes les kermesses, dédicaces et autres fêtes de cette espèce, généralement quelconques, tant dans les villes qu’au plat pays, se tiendront désormais partout, le même jour, que nous fixons pour toujours au deuxième dimanche après Pâques. »

Plusieurs se prenaient à des choses plus graves, et attaquaient la propriété en même temps que la liberté religieuse. Par un édit du 17 mars 1783, l’empereur, de sa certaine science, pleine puissance et souveraine autorité, supprima un bon nombre de couvens des deux sexes, et fit entrer tous leurs biens dans une caisse formée sous le titre de Caisse de religion. Plus tard, il abolit toutes les confréries et en constitua une nouvelle sous le titre niaisement philantropique d’Amour actif du prochain. Enfin, une mesure bien plus grave encore vint révéler le but du système et soulever toutes les consciences : un séminaire général unique fut établi à Louvain, un séminaire filial à Luxembourg[1]. L’édit constitutif, si malheureusement copié dans plusieurs de ses principales dispositions en 1825, lors de la création du fameux collége philosophique, abolissait les séminaires épiscopaux, et décidait qu’on n’admettrait à l’avenir aux ordres sacrés que les élèves qui auraient fait leur théologie à Louvain ou à Luxembourg. Les considérans étaient peut-être plus injurieux encore pour

  1. Édit du 16 octobre 1786.