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énigme reposait maintenant dans mes bras comme une propriété, et pourtant je n’en avais pas le mot.

Mais n’est-ce pas folie de chercher le sens d’une apparition étrangère, quand nous ne pouvons même pas expliquer le mystère de notre propre ame ? Et que savons-nous si les faits étrangers existent réellement ? Il arrive souvent que nous ne pouvons distinguer des songes la réalité elle-même ! Ce que je vis et entendis, cette nuit-là, par exemple, fut-il un produit de mon imagination ou un fait réel ? Je l’ignore. Je me souviens seulement qu’au moment où le flux des pensées les plus bizarres inondât mon cerveau, mon oreille fut frappée d’un bruit étrange. C’était une mélodie folle, mais très sourde. Elle semblait familière à mon esprit, et je distinguai enfin les sons d’un triangle et d’une grosse caisse. Cette musique gazouillante et bourdonnante paraissait venir de très loin. Cependant, quand je levai les yeux, je vis près de moi, au milieu de la chambre, un spectacle qui m’était bien connu. C’était M. Turlututu le nain, qui jouait du triangle, et madame mère qui battait la grosse caisse pendant que le chien savant flairait le sol tout autour, comme pour y chercher et rassembler ses caractères de bois. Le chien paraissait ne se mouvoir qu’avec peine, et sa peau était souillée de sang. Madame mère portait toujours ses vêtemens de deuil, mais son ventre n’était plus aussi drôlement proéminent qu’autrefois : il descendait au contraire d’une façon repoussante ; sa petite face n’était plus rouge non plus, mais jaune. Le nain, qui avait toujours l’habit brodé et le toupet poudré d’un marquis français de l’ancien régime, semblait un peu grandi, peut-être parce qu’il était maigri horriblement. Il montrait encore ses ruses d’escrime et avait l’air de débiter ses anciennes vanteries ; mais il parlait si bas, que je ne pus saisir un seul mot, et je devinai seulement, au mouvement de sa bouche, qu’il répétait quelquefois son chant de coq.

Pendant que ces caricatures-spectres s’agitaient devant mes yeux comme des ombres chinoises, avec un mystérieux empressement, je sentis que Mlle Laurence, qui dormait sur mon cœur, respirait toujours plus péniblement. Un frisson glacé faisait tressaillir tous ses membres comme s’ils eussent été torturés par des douleurs insupportables. Enfin, souple comme une anguille, elle glissa d’en-