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LES NUITS FLORENTINES.

ligua avec ma mère, je dis ma mère par habitude, et tous les deux me tourmentèrent en commun. Ils disaient toujours que j’étais une créature inutile, que le chien savant avait mille fois plus de mérite que moi, avec ma danse détestable ; et ils louaient alors le chien à mes dépens, l’élevaient jusqu’aux nues, le caressaient, le nourissaient de gâteaux dont ils me jetaient les miettes. Le chien, disaient-ils, était leur véritable soutien : c’était lui qui charmait le public, les spectateurs ne s’intéressaient pas à moi le moins du monde, le chien était obligé de me nourrir de son travail, je mangeais l’aumône que me faisait le chien… Le maudit chien !

— Oh ! ne le maudissez plus, dis-je en arrêtant l’expression de son dépit ; il est mort, je l’ai vu mourir.

— Est-elle réellement morte, la vilaine bête ? s’écria Laurence en sautant d’une joie qui la couvrit de rougeur.

— Et le nain est mort aussi ! ajoutai-je.

M. Turlututu ? s’écria-t-elle encore avec joie. Mais cette joie s’effaça bientôt, et fit place à l’air doux et triste dont elle dit : Pauvre Turlututu !

Comme je ne lui cachai pas qu’à son heure dernière le nain s’était plaint d’elle avec amertume, elle fut saisie d’une vive agitation, et m’assura avec de nombreux sermens qu’elle avait voulu pourvoir largement à l’avenir du nain ; qu’elle lui avait offert une pension s’il voulait vivre tranquillement et avec discrétion en province. — Mais ambitieux comme il était, continua Laurence, il demandait à rester à Paris, à habiter mon hôtel ; il pensait pouvoir renouer par mon intermédiaire ses anciennes relations dans le faubourg Saint-Germain, et recouvrer dans la société sa brillante position d’autrefois. Quand je le refusai nettement, il me fit dire que j’étais un spectre maudit, un vampire, un enfant de mort…

Laurence s’arrêta soudain, tremblante de tout son corps, et dit enfin avec un profond soupir : « Hélas ! plut à Dieu qu’ils m’eussent laissée dans le tombeau auprès de ma mère ! » Comme je la pressais de m’expliquer ces mystérieuses paroles, elle versa un torrent de larmes, et tremblant et frissonnant, m’avoua que la femme noire à la grosse caisse qui se donnait pour sa mère, lui avait un jour déclaré que le bruit qui courait sur sa naissance, n’était pas un conte fait à plaisir. « Dans la ville où nous demeurions, dit Laurence, on m’appelait en effet l’enfant de mort ! Les