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LES NUITS FLORENTINES.

à Sainte-Hélène ! Ô Napoléon ! tu ne m’as jamais aimé… » Je ne pus comprendre ce qu’il ajouta. Il leva la tête, fit quelques mouvemens avec le bras comme pour s’escrimer contre quelqu’un, peut-être contre la mort. Mais la faux de cet adversaire ne trouve aucune résistance, ni chez un Napoléon, ni chez un Turlututu. Contre elle toute parade est inutile. Épuisé, comme terrassé, le nain laissa retomber sa tête, me regarda long-temps avec un indéfinissable regard d’agonisant, fit soudain le chant du coq, et expira.

Cette mort m’attrista d’autant plus que le défunt ne m’avait donné aucun éclaircissement sur Mlle Laurence. Où la rencontrer maintenant ? Je n’étais pas amoureux d’elle et ne sentais à son égard aucun entraînement irrésistible, et cependant un désir mystérieux me stimulait à la chercher partout. Dès que j’étais entré dans un salon, que j’avais passé en revue toute la réunion sans avoir trouvé cette figure toujours présente à ma mémoire, l’impatience me prenait et me poussait dehors. Un soir, à minuit, je réfléchissais solitairement sur ce sentiment, en attendant un fiacre, à la sortie de l’Opéra. Mais il ne vint pas de fiacre, ou plutôt il ne vint que des voitures qui appartenaient à d’autres, lesquels s’y établirent à leur grande satisfaction, et le vide se fit insensiblement autour de moi. — « Il faut alors que vous partiez dans la mienne, » dit enfin une dame qui, profondément enveloppée dans sa mantille noire, avait attendu pendant quelque temps auprès de moi, et se disposait à monter dans un équipage. Sa voix me vibra dans le cœur. Le regard oblique accoutumé exerça de nouveau sa magie, et je me retrouvai comme dans un songe quand je me sentis auprès de Mlle Laurence dans un chaud et moelleux carrosse. Nous n’échangeâmes pas une seule parole : d’ailleurs nous n’aurions pu nous entendre, car nous roulions avec un fracas de tonnerre sur le pavé de Paris. Nous roulâmes long-temps, puis nous nous arrêtâmes devant une grande porte cochère.

Des laquais en brillante livrée nous éclairèrent sur l’escalier, et dans une longue file d’appartemens. Une femme de chambre, qui vint au-devant de nous avec une figure endormie, balbutia au milieu de beaucoup d’excuses qu’on n’avait allumé de feu que dans la chambre rouge. Faisant à cette femme signe de s’éloigner, Laurence me dit en riant : — Le hasard vous conduit loin aujourd’hui ; il n’y a de feu que dans ma chambre à coucher.