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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

tâchait d’arriver à Poitiers pour se réfugier, en désespoir de cause, dans la basilique de Saint-Hilaire[1].

Il semble que le voisinage du monastère de Radegonde, et que le caractère même de cette femme si douce et si vénérée, aient répandu alors sur l’église de Poitiers un esprit d’indulgence qui la distinguait entre toutes les autres. C’est du moins la seule explication possible de l’accueil charitable qu’un homme à la fois proscrit et excommunié trouva au sein de cette église, après avoir vu se fermer devant lui l’asile de saint Martin de Tours et les basiliques de Paris. La joie d’être à la fin en pleine sûreté fut grande pour Leudaste, mais elle passa vite ; et bientôt il n’éprouva plus qu’un sentiment insupportable pour sa vanité, l’humiliation d’être l’un des plus pauvres parmi ceux qui partageaient avec lui l’asile de Saint-Hilaire. Pour s’y dérober, et pour satisfaire des goûts invétérés de sensualité et de débauche, il organisa en bande de voleurs les plus scélérats et les plus déterminés d’entre ses compagnons de refuge. Chaque fois que l’absence ou l’incurie des officiers royaux laissait la ville sans gardes, l’ex-comte de Tours, averti par des espions, sortait de la basilique de Saint-Hilaire, à la tête de sa troupe, et, courant à quelque maison qu’on lui avait signalée comme opulente, il y enlevait par effraction l’argent et la vaisselle de prix, ou rançonnait à merci le propriétaire épouvanté[2]. Chargés de butin, les bandits rentraient aussitôt dans l’enceinte de la basilique, où ils faisaient leur partage ; puis mangeaient et buvaient ensemble, se querellaient ou jouaient aux dés. Souvent le saint asile devenait le théâtre de désordres encore plus honteux. Leudaste y attirait des femmes de mauvaise vie, dont quelques-unes, mariées, furent surprises avec lui en adultère sous les portiques du parvis[3]. Soit qu’au bruit de ces scandales, un ordre, parti de la cour de Soissons, eût prescrit l’exécution rigoureuse de la sentence portée à Braine, soit que Radegonde

  1. Ille vero cernens se jamjamque capi, relictis rebus, basilicam sancti Hilarii Pictavensis expetiit. Berulfus vero dux res captas regi transmisit. (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 264.)
  2. Leudastes enim egrediebatur de basilica, et inruens in domos diversorum prædas publicas exercebat. (Ibid.)
  3. Sed et in adulteriis sæpè infrà ipsam sanctam porticum deprehensus est. (Ibid.)