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main, en leur disant : « Reconnaissez votre maître[1]. » Il répétait à tout propos, d’un ton de vanité emphatique : « C’est moi qui, par mon esprit, ai purgé la ville de Tours de cette engeance venue d’Auvergne[2]. » Si parfois ses amis familiers lui témoignaient quelque doute sur le succès de cette usurpation, et sur la sincérité de ceux qu’attiraient autour de lui ses largesses extravagantes, il disait avec un sourire de supériorité : « Laissez-moi faire ; l’homme avisé n’est jamais pris en défaut ; on ne peut le tromper que par le parjure[3]. »

Ce fanfaron, si plein de lui-même, fut tout à coup tiré de ses rêves d’ambition par l’arrivée de Grégoire, qui fit sa rentrée à Tours au milieu de la joie universelle. Contraint de rendre le palais épiscopal à son légitime possesseur, Rikulf ne vint pas saluer l’évêque, comme le firent dans cette journée non-seulement les membres du clergé, mais tous les autres citoyens. D’abord il affecta des airs de mépris et une sorte de bravade silencieuse ; puis sa rancune impuissante se tourna en frénésie ; il tint des propos furibonds, et n’eut plus à la bouche que des menaces de mort[4]. Grégoire, toujours attentif à suivre les voies légales, ne se hâta point de faire de la force contre cet ennemi dangereux ; mais procédant avec calme et sans arbitraire, il réunit en synode provincial les suffragans de la métropole de Tours. Ses lettres de convocation furent adressées individuellement aux évêques de toutes les cités de la troisième province lyonnaise, à l’exception de celles que possédaient les Bretons, peuple aussi jaloux de son indépendance en religion qu’en politique, et dont l’église nationale n’avait point avec l’église des

  1. Argentum describit ecclesiæ, reliquasque res sub suam redigit potestatem. Majores clericos muneribus ditat, largitur vineas, prata distribuit : minores verò fustibus plagisque multis, etiam manu propria adfecit, dicens : Recognoscite dominum vestrum… (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 264.)
  2. Cujus ingenium Turonicam urbem ab Arvernis populis emundavit. (Ibid.)
  3. Illud sæpè suis familiaribus dicere erat solitus, quod hominem prudentem non aliter, nisi in perjuriis, quis decipere possit. (Ibid.)
  4. Sed cùm me reversum adhuc despiceret, nec ad salutationem meam, sicut reliqui cives fecerant, adveniret ; sed magis me interficere minitaretur… (Ibid.)