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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

lée, pour ainsi dire, à l’oreille du poète, par deux femmes, l’une plus âgée et l’autre plus jeune que lui, le retint, par un charme nouveau plus long-temps qu’il ne l’avait prévu[1]. Les semaines, les mois, se passèrent, tous les délais furent épuisés ; et quand le voyageur parla de se remettre en route, Radegonde lui dit : « Pourquoi partir ? pourquoi ne pas rester près de nous ? » Ce vœu d’amitié fut pour Fortunatus comme un arrêt de la destinée ; il ne songea plus à repasser les Alpes, s’établit à Poitiers, y prit les ordres, et devint prêtre de l’église métropolitaine[2].

Facilitées par ce changement d’état, ses relations avec ses deux amies, qu’il appelait du nom de mère et de sœur, devinrent plus assidues et plus intimes[3]. Au besoin qu’ont d’ordinaire les femmes d’être gouvernées par un homme, se joignaient, pour la fondatrice et pour l’abbesse du couvent de Poitiers, des circonstances impérieuses qui exigeaient le concours d’une attention et d’une fermeté toutes viriles. Le monastère avait des biens considérables, qu’il fallait non-seulement gérer, mais garder avec une vigilance de tous les jours contre les rapines sourdes ou violentes, et les invasions à main armée. On ne pouvait y parvenir qu’à force de diplômes royaux, de menaces d’excommunication lancées par les évêques, et de négociations perpétuelles avec les ducs, les comtes et les juges, peu empressés d’agir par devoir, mais qui faisaient beaucoup par intérêt ou par affection privée. Une pareille tâche demandait à la fois de l’adresse et de l’activité, de fréquens voyages, des visites à la cour des rois, le talent de plaire aux hommes puissans, et de traiter avec toutes sortes de personnes. Fortunatus y employa, avec autant de succès que de zèle, ce qu’il avait de connaissance du monde et de ressources dans l’esprit. Il devint le conseiller, l’a-

  1. Hoc quoque quod delectabititer adjecistis : me domnæ meæ Radigundæ muro charitatis inclusum, scio quidem, quia non ex meis meritis, sed ex illius consuetudine quam circà cunctos novit impendere, colligatis. (Fortunati epistola ad Felicem, episc. Namneticum, inter ejus opera, lib. iii, pag. 78.)
  2. Mabillon, Annales Benedictini, tom.  i, pag. 155.

    Martinum cupiens, voto Radegundis adhæsi,
    Quam genuit cœlo terra Toringa sacro
    .

    (Fortunati lib. viii, carm. 1.)

  3. V. Fortunati opera lib. viii, carm. 2 et passim.