Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/296

Cette page a été validée par deux contributeurs.
292
REVUE DES DEUX MONDES.

surpris de cette brusque requête, hésita et demanda le temps de réfléchir. Il s’agissait, en effet, de prendre une décision périlleuse, de rompre un mariage royal contracté selon la loi salique et d’après les mœurs germaines, mœurs que l’église, tout en les abhorrant, tolérait encore par crainte de s’aliéner l’esprit des Barbares[1].

Bien plus à cette lutte intérieure entre la prudence et le zèle se joignit aussitôt, pour saint Médard, un combat d’un tout autre genre. Les seigneurs et les guerriers franks qui avaient suivi la reine l’entourèrent en lui criant avec des gestes de menace : « Ne t’avise pas de donner le voile à une femme qui s’est unie au roi, prêtre ! garde-toi d’enlever au prince une reine épousée solennellement ! » Les plus furieux, mettant la main sur lui, l’entraînèrent avec violence des degrés de l’autel jusque dans la nef de l’église, pendant que la reine, effrayée du tumulte, cherchait avec ses femmes un refuge dans la sacristie[2]. Mais là, recueillant ses esprits, au lieu de s’abandonner au désespoir, elle conçut un expédient où l’adresse féminine avait autant de part que la force de volonté. Pour tenter de la manière la plus forte et mettre à la plus rude épreuve le zèle religieux de l’évêque, elle jeta sur ses vêtemens royaux un costume de recluse, et marcha ainsi travestie vers le sanctuaire, où saint Médard était assis, triste, pensif et irrésolu[3]. « Si tu tardes à me consacrer, lui dit-elle d’une voix ferme, et que tu craignes plus les hommes que Dieu, tu auras à rendre compte, et le pasteur te redemandera l’ame de sa brebis[4]. » Ce spectacle imprévu et ces paroles mystiques frappèrent l’imagination du vieil évêque, et ranimèrent tout à coup en lui la volonté défaillante. Élevant sa conscience de prêtre au-dessus des craintes humaines et des ménagemens politiques, il ne balança plus, et de son auto-

  1. Sed memor dicentis apostoli : Si qua ligata sit conjugi, non quærat dissolvi ; differebat reginam ne veste tegeret monachicâ. (Ex vita S. Medardi. Ibid., p. 456.)
  2. Adhuc beatum virum perturbabant proceres, et per basilicam graviter ab altari retrahebant, ne velaret regi conjunctam, ne videretur sacerdoti ut præsumeret principi subducere reginam, non publicanam sed publicam. (Ex vita S. Radegundis, apud script. rerum francic. tom.  iii, pag. 456.)
  3. Intrans in sacrarium, monachicà veste induitur, procedit ad altare, beatissimum Medardum his verbis alloquitur dicens… (Ibid.)
  4. Si me consecrare distuleris, et plus hominem quàm Deum timueris, de manu tua a pastore ovis anima requiratur. (Ibid.)